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plus d’importance est celle où il essaye d’expliquer comment on peut, à son point de vue, comprendre la ressemblance ou l’identité des mouvements produits hors de nous avec les sensations perçues en nous par la conscience, ou, comme il dit, passer de la quantité à la qualité. Pour cela, il prend comme point de départ la théorie de Leibnitz : l’homme est une monade unie à un organisme ; le corps fait partie intégrante du moi. Dès lors, les mouvements qui s’accomplissent dans les corps extérieurs se transmettent (en corrigeant la doctrine de Leibnitz et en admettant l’action réciproque des monades) jusqu’à notre propre corps. Par suite, la quantité n’est plus seulement objective : elle devient subjective, puisqu’elle se retrouve, telle qu’elle est au dehors, dans le corps, partie intégrante du moi. Et voilà comment il y a ressemblance et même identité entre les modifications des agents extérieurs et nos propres modifications.

Il nous paraît bien difficile de se contenter d’une telle explication. D’abord, il ne faut pas invoquer l’autorité de Leibnitz à l’appui de cette théorie. Se représenter des forces agissant mécaniquement les unes sur les autres et transmettant des mouvements, c’est assurément le droit de M. Derepas. Mais Leibnitz n’a jamais conçu de cette manière l’action des monades : cette action est purement idéale. La Monadologie dit expressément que les monades n’ont que des qualités, et ne diffèrent les unes des autres que par des dénominations intrinsèques. Et ce n’est pas là une partie du système qu’on puisse éliminer en conservant le reste ; c’est la définition même de la monade. Il n’y a plus rien de la pensée de Leibnitz, si l’on n’accorde pas ce point.

De plus, en se plaçant même au point de vue de notre auteur, une insurmontable difficulté subsiste. Parce qu’il a transporté les mouvements extérieurs dans l’organisme, il se figure que la question est résolue : elle n’est pas même simplifiée. Il reste toujours à comprendre comment se fait dans le sujet lui-même le passage du mouvement à la sensation, de la quantité à la qualité. Dire que le mouvement et la sensation sont identiques, parce que l’organisme et le moi ne font qu’un, c’est répondre à la question par la question. Il reste toujours que, dans le sujet les mouvements sont donnés, sont pensés comme autre chose que les sensations : et on n’a pas le droit d’identifier des choses qui sont données comme essentiellement différentes, La dualité de la quantité et de la qualité, qu’on a cru éviter en transportant les deux termes opposés dans le sujet, reparait dans le sujet lui-même, et on ne peut y échapper. Aussi n’est-ce pas même la peine de recourir à l’hypothèse leibnitzienne ; le problème se présente exactement sous le même aspect dans les termes où tout le monde le pose. Tout le monde accorde que les mouvements extérieurs se traduisent dans l’organisme par des mouvements équivalents et de même nature. Mais, entre les mouvements qui s’accomplissent dans le cerveau et les sensations qui les accompagnent, y a-t-il ressemblance ou identité ? Voilà ce qu’il s’agit de savoir, et personne ne peut répondre affirmativement, Le seul rapport