Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
revue philosophique

découpons en quelque sorte’dans l’espace infini. C’est une thèse bien connue ; mais on voudrait la voir justifier autrement que par des affirmations fréquemment répétées. Il n’est pas évident que nous pensions à l’éternité avant de penser au temps, De plus, en supposant même la thèse prouvée, il serait intéressant de savoir comment l’éternité, l’immensité, le mouvement absolu, échappent aux antinomies. Le temps absolu est-il divisible ou non à l’infini ? S’il l’est, on tombe dans la contradiction si souvent signalée ; s’il ne lest pas, quelle idée se faire d’un temps qui n’a pas de parties ? Mais, dit-on, c’est l’éternité. J’entends bien. Mais, si l’éternité n’a rien de commun avec le temps, comment peut-elle rendre le temps intelligible ? Comment le temps peut-il être quelque chose que « nous y découpons » ? (p. 49) Si elle participe à la nature du temps, si peu que ce soit, ! elle ne peut faire moins que d’être divisible comme lui. À moins de dire qu’elle est tout le contraire du temps. Il semble bien que ce soit la pensée de M. Derepas, car il ne craint pas de dira que le mouvement absolu et infini est identique à l’immutabilité (p. 52). Mais alors on voudrait savoir comment, en détachant une partie d’une chose, d’ailleurs indivisible, on obtient exactement son contraire. Tout cela aurait besoin d’être éclairci.

La troisième partie traite successivement de la connaissance du monde, de nous-mêmes et de Dieu. Les deux derniers chapitres sont l’exposition très nette et très convaincue de la doctrine spiritualiste. M. Derepas s’est efforcé de la rajeunir et y a souvent réussi, Mais c’est certainement dans le chapitre sur la connaissance du monde qu’il à présenté les vues les plus originales et les plus hardies. Il faut nous y arrêter un instant.

Depuis Démocrite, tous les philosophes, à peu près d’un commun accord, ont reconnu le’caractère relatif des perceptions sensibles. Parmi les personnes qui ont réfléchi sur ces questions, combien y en a-t-il, de nos jours, qui croient à la réalité objective de la couleur et du son ? Ni les Écossais, ni ceux qui plus près de nous ont essayé de renouveler leur doctrine, n’ont osé aller jusque-là. M. Derepas est plus audacieux : il n’est pas réaliste à demi. Plus de compromis ni de moyens termes : il veut prouver la réalité en soi de tout ce que nos sens perçoivent. Toute autre doctrine n’est, à ses yeux, qu’un demi-scepticisme ou un scepticisme tout entier. Ily à des personnes, comme M. Robert, qui seront bien surprises de se trouver en si mauvaise compagnie.

À vrai dire, il n’est pas fort aisé de distinguer avec précision la thèse que M. Derepas veut défendre, Tantôt il admet que la sensation est l’acte commun du sensible et du sentant, que l’esprit met quelque chose de lui-même dans la connaissance (p. 113). D’autres fois, il déclare que les choses existent objectivement, c’est-à-dire indépendamment du sujet, telles que l’esprit se les représente ; entre les sensations en nous et les modifications des agents extérieurs, il y a des ressemblances et même identité (p. 120). Il saute aux yeux que ces deux thèses ne sont