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Principes de la philosophie et du Monde le père, de la philosophie mécaniste. M. Naville confirme Papillon[1]. Il le confirme encore lorsqu’il rattache Newton à l’école cartésienne et sépare avec une heureuse clairvoyance le maitre de ses disciples. Les newtoniens ont trahi Newton. Mous le savions déjà, mais les vérités de fraîche date n’improvisent pas l’assentiment : elles n’entrent dans les esprits rebelles qu’à la condition d’être redites.

Problèmes d’histoire de la philosophie, problèmes de métaphysique, problèmes de logique et de psychologie, rien enfin de ce qui touche aux choses de la philosophie n’est étranger à M. Naville. Il parle de tout avec une rare compétence et sur le ton d’un homme qui cherche et veut la vérité. Il écrit comme il pense, non pas au courant de la plume, car sa plume ne sait pas courir, mais au train de la réflexion. De là une absence presque totale de style, de là aussi un défaut de composition qui parfois désoriente le lecteur. Les redites sont nombreuses, et l’étendue des chapitres n’est pas toujours en raison de leur importance. Est-ce un livre ? n’est-ce pas plutôt une série d’études, un recueil de fragments juxtaposés ? Plusieurs se le demanderont. Et pourtant c’est bien un livre, et qui a son unité. Un même souffle métaphysique circule à travers ses pages, toutes pleines de réflexions et de faits, et c’est rare quand on perd de vue la pensée directrice.

Lionel Dauriac.

G. Derepas. — Les théories de l’Inconnaissable et les degrés de la connaissance. (Paris, E. Thorin, 1883).

Prouver que rien n’est mieux connu que l’Inconnaissable, que l’Inconnaissable, c’est-à-dire l’Absolu, « est le connaissable par excellence, » voilà l’objet que s’est proposé M. Derepas. La thèse est hardie. M. Derepas cite (p. 11) une parole du regretté J.-B. Tissandier, dont il semble faire un argument : « Il est étrange que les grands métaphysiciens, tant anciens que modernes, vous disent unanimement : Nous voyons, nous connaissons, et que certains philosophes, dont l’esprit ne peut avoir plus de puissance et d’étendue, viennent leur dire : Vous ne voyez, vous ne connaissez pas. » Notre auteur fait précisément la même chose. À des hommes tels que Spinoza, Kant, Spencer, il vient dire, sans prétendre probablement avoir plus de puissance où d’étendue d’esprit : « Vous croyez ne pas connaître, en réalité vous connaissez. Vous savez sans le savoir. » Les deux cas sont pareils, sauf toutefois que croire qu’on sait, et ignorer son ignorance, est plus naturel et moins

  1. Les deux chapitres de Fernand Papillon sur Descartes et Newton ne dépassent guère l’étendue d’un résumé. Mais si l’exposition y est brève, elle y est toujours précise, brillants, et ce qui vaut mieux encore, suggestive : telle qu’on nous l’a donnée, cette histoire de la Philosophie moderne mérite d’être lue à légal des meilleurs travaux qu’ait produit notre temps sur le mouvement de la pensée philosophique pendant les deux derniers siècles.