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ANALYSES.naville. La physique moderne.

veut intermittente. La paix est au bout de la lutte, toujours honorable : le vainqueur laissera le vaincu vivre paisiblement sur ses terres, à la condition de n’en jamais sortir. M. Caro respectera la science, pourvu qu’elle reste chez elle. M. Naville voudrait lui imposer l’alliance spiritualiste. M. Naville a tort : le jour où la science deviendrait la vassale d’une métaphysique, c’est au matérialisme qu’elle prêterait l’hommage. Lange l’a dit et l’a prouvé par l’histoire, et Lange n’est pas matérialiste.

Ce long plaidoyer en faveur de l’union de la science et du spiritualisme chrétien n’est pas la seule partie importante de l’ouvrage. Les deux derniers chapitres mériteraient une discussion approfondie : ce sont ceux où il est question de la physique et de la morale et des conséquences philosophiques de la physique moderne. La Revue les a fait connaître[1]. Le premier chapitre, où l’auteur, dans un exposé court et substantiel, esquisse à grands traits les caractères généraux de cette philosophie première, est l’œuvre d’un sage esprit. J’ose dire pourtant que l’excès de sagesse inspire à M. Naville une assertion grave, toute conforme qu’elle soit d’ailleurs aux présomptions du sens commun. Si la matière est inerte, nous dit-on, c’est qu’en elle il n’est rien de « psychique ». De savoir si la matière est ou n’est pas associée à quelque chose dont la nature échappe, mais dont la seule étendue ne peut rendre raison, c’est là, n’en doutons point, le moindre souci de la science. Si cependant la matière résiste, c’est qu’elle est douée de force. Or il est difficile de se représenter la force sous forme de matière, Si rien de conscient ou de « subconscient » ne s’ajoute à la matière, la force reste inintelligible. Un problème se posait : entre l’atomisme et le monadisme, il fallait choisir. On peut regretter que M. Naville n’ait point choisi.

On doit le féliciter, en revanche, d’avoir refusé le titre d’axiome à des principes dont l’évidence est loin de s’imposer à tous. Tel est, entre autres, le principe de la conservation de l’énergie. Il simule l’axiome par l’impossibilité où l’on est d’en fournir une démonstration exacte ; il en diffère par la nécessité qui s’impose d’essayer cette démonstration : nécessité impérieuse, du moment où ce principe, étendu à la totalité des phénomènes, tient en échec les inductions de la psychologie empirique et les déductions de la morale spéculative ; nécessité inéluctable si l’on songe que l’extension à tout l’univers du principe de la conservation de la force assurerait l’avenir aux systèmes panthéistes. M. Naville a réduit le principe à la modeste condition de postulat ; la science positive ne saurait exiger davantage.

Un autre et grand mérite du livre, c’est la reconnaissance des services rendus à la physique moderne par notre Descartes. Dans un des fragments de la belle Histoire de la philosophie moderne publiée par les soins de M. Charles Lévèque, Fernand Papillon avait salué dans l’auteur des

  1. Tome VII, p. 265, — Tome XI, p. 46.