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fondement dans l’absolu, inclineront soit vers le Dieu personnel de la théologie spiritualiste, soit vers l’absolu presque néant de l’école évolutionniste ou de l’école de Hegel. Ils seront forcés de choisir, et chacun, pour justifier son choix, invoquera naïvement le secours de la logique. La logique se trouble en présence de l’absolu, et, ne sachant plus où se prendre, elle se prête, avec une docilité qui étonne, à toutes les exigences du métaphysicien. M. Spencer lui demande de justifier l’unité de substance. M. Naville lui fait appel, dans l’espoir qu’elle lui prêtera main forte contre les savants matérialistes. À tous deux elle est complaisante et fournit les preuves attendues. Quidquid dixeris, argumentabor.

Si nous étions nous-mêmes disposé à suivre Spencer et à défendre la philosophie des Premiers principes, une réserve des plus légitimes nous tiendrait en garde contre le désir d’opposer à la thèse de M. Naville une théorie de tous points contraire à la sienne, Mais nos préférences philosophiques nous ont toujours tenu éloigné des systèmes matérialiste où panthéiste, et il est telle circonstance où l’auteur de la physique moderne nous trouverait dans les mêmes rangs que lui : ses adversaires sont les nôtres, et nous n’applaudissons guère plus que lui au succès du matérialisme scientifique. Voilà pourquoi nous osons discuter avec M. Naville et lui proposer nos observations. Moins que lui pourtant ces succès nous étonnent, car ils ont leur raison d’être. Quand on a perdu la foi religieuse, on se fait sa philosophie et on se la fait selon ses goûts et aussi selon ses habitudes. Le matérialisme prend sa source dans un abus de la méthode expérimentale, objective, qui est celle des sciences d’observation. L’erreur qui consiste à expliquer la conscience par la loi de la transformation des forces sera longue à déraciner, et nombre de savants distingués n’accepteront pas qu’on les en délivre. Le jour où ils en seraient débarrassés, leur foi scientifique serait en péril. Le matérialisme est un fruit de la méthode scientifique, et sa naissance, pour être illégitime, ne laisse pas d’être naturelle.

Dès lors, pour combattre cette philosophie, il n’est qu’un moyen : détacher la science de la métaphysique. C’est ce que voulait faire il y a quinze ans environ, l’auteur du Matérialisme et la science, livre d’une lecture attachante et bien fait pour apaiser les inquiétudes que donnent parfois aux consciences spiritualistes les progrès de la science positive. Descartes avait mis à part les vérités de la philosophie et celles de la religion. M. Caro voulait mettre à part les vérités de la science et celles de la philosophie. On sait si l’éminent professeur peut être accusé d’indifférence spéculative, ou même de dilettantisme. Chaque fois qu’il parle, c’est pour interroger un adversaire, pour lui demander où il entend se conduire et nous conduire, — pour le lui demander, et plus souvent encore pour le lui apprendre. Les escarmouches et même les batailles plaisent à M. Caro. Toutefois, à côté de M. Ernest Naville, M. Caro paraît un ennemi conciliant : s’il aime la guerre, il la