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ANALYSES.naville. La physique moderne.

des Bosses, lorsqu’il cherchait à expliquer comment la transsubstantiation est possible dans l’hypothèse de la monadologie. En ce temps-là, tout philosophe fût-il matérialiste, comme Hobbes ou comme Gassendi, était doublé d’un chrétien. Pourquoi s’en étonner, si l’on songe que ce qui met le plus la foi religieuse en péril, c’est moins la science ou la métaphysique que les découvertes de l’érudition ? Or, au xviie siècle, il n’y avait ni érudition ni critique, si l’on donne à chacun de ces deux termes le sens qu’ils ont reçu de nos contemporains.

Descartes et ses prédécesseurs ont vécu à une époque de foi ; ils ont accepté un joug qui ne semblait lourd à personne et que nul ne songeait à secouer. Leur foi religieuse, au moins en ce qui regarde les sciences mathématiques ou empiriques, n’a jamais arrêté le développement de leur génie ; comment, dès lors, loin de mettre en doute les vérités de la religion, n’en seraient-ils pas devenus plus certains ? Comment, devenus plus certains, n’auraient-ils pas cherché à rendre cet accord plus sensible et fait effort pour montrer à quel point le Dieu de la raison humaine se reconnaît dans le Dieu de la foi ? Il est superflu de rappeler ce que la théologie chrétienne doit à la métaphysique des derniers Grecs, et combien le christianisme est pénétré de rationalisme. Dès lors, on ne peut tarder à se convaincre que les principes de la physique moderne ne reposent sur aucun fondement religieux. Ces principes ne sont rien de plus que des généralisations de l’expérience ou des corollaires plus ou moins immédiats des lois de l’entendement, et ces lois peuvent être acceptées de tous. Elles s’accommodent de toutes les solutions données au problème métaphysique. La psychologie d’Herbert Spencer accorde une place, presque une place d’honneur, aux lois de la raison, et pourtant cette psychologie prend son point te départ dans une métaphysique panthéiste, où tous les phénomènes, depuis les plus simples jusqu’aux plus complexes, jusqu’aux faits de conscience, proviennent des transformations de la force et des mouvements de la matière. Ira-t-on refuser à M. Spencer le droit d’interpréter ainsi la nature et de substituer au Dieu de l’Évangile un Inconnaissable, d’une existence toute surérogatoire ? On peut admettre, avec un philosophe distingué de Londres, M. Guthrie, que la cosmogonie de M. Spencer est peu satisfaisante, et qu’en dernière analyse l’auteur, qui prétendait ne rien laisser sans explication, n’a su tirer de ses Premiers principes aucune explication définitive, Cela peut être dit et même démontré. Mais, de bonne foi, les lois du mouvement seront-elles plus faciles à extraire de l’immutabilité du Dieu de Des. cartes que les lois générales de la nature, de la « formule de l’évolution » ? Et pourtant M. Spencer croit au principe des causes efficientes. Le caractère évolutionniste de sa doctrine lui interdit de croire que la nature est dépensière, et lui défend de révoquer en doute « le principe de simplicité. » Il faut en prendre notre parti. La raison de l’homme obéira aux mêmes principes et sera toujours meublée des mêmes catégories, et ceux qui, dépassant la sphère de la critique, chercheront à ces catégories un