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objets. Quand il éprouvait des sensations simples, comme les douleurs de la dentition, c’était bien lui qui souffrait ; quand il éprouvait des sensations complexes, comme celles d’un hochet qu’il palpait avec sa bouche ou d’un corps brillant qui frappait sa vue, c’était bien un objet qu’il percevait. La sensation et la perception existaient donc déjà en lui, avec leurs caractères de subjectivité et d’objectivité bien déterminés ; et pourtant il n’avait aucune idée d’un moi à qui il pût attribuer les unes et refuser d’attribuer les autres. Ce qu’il y a d’essentiel dans la notion d’objet, ce n’est donc nullement l’idée de non-moi.

On pourra trouver encore que, dans la définition que nous avons donnée de l’objectivité, nous avons négligé un élément très important, à savoir l’extériorité. Lorsque nous nous représentons un objet, nous le concevons non seulement comme indépendant de nous, mais encore comme situé en dehors de nous ; et cette idée d’extériorité lui est si bien inhérente, que, lorsque nous venons à prononcer le mot d’objets, il nous est presque impossible de ne pas lui ajouter l’épithète d’extérieurs. — Je reconnais parfaitement la force de cette association ; mais je ne la crois pas irrésistible. Il nous serait possible d’imaginer un système de connaissances, c’est-à-dire un monde, d’où l’idée d’espace serait absolument exclue. Alors même que nous nous représenterions tous les objets comme intérieurs, ils n’en seraient pas moins pour nous des objets. L’idée d’extériorité complète bien l’idée d’objectivité, et c’est pour cela que nous nous réservons d’en faire un examen spécial à la fin de cette étude ; mais elle ne la constitue pas, elle ne lui est pas essentielle ; il nous est donc loisible de ne pas la faire entrer dans notre définition.

Peut-être enfin sera-t-on tenté de nous reprocher de n’avoir pas établi, entre les phénomènes subjectifs et les phénomènes objectifs, une distinction suffisamment nette. Les sensations, avons-nous dit, nous paraissent subjectives quand elles sont simples, et objectives quand elles sont complexes. Cela peut suffire à la rigueur pour distinguer les unes des autres les sensations tout à fait simples et les, sensations tout à fait complexes. Mais il peut y avoir un nombre infini de degrés dans la complexité des sensations. Dès lors, comment nous y prendrons-nous pour distinguer les unes des autres les sensations intermédiaires ? À quel degré précis de complexité les sensations nous paraîtront-elles objectives ? Quelle est la simplicité requise pour que nous soyons en droit de nous les attribuer ? — À cette critique nous répondrons que le défaut signalé n’est pas dans notre théorie de la connaissance, mais dans la connaissance même. Nous n’avons pas prétendu donner un criterium certain de percep-