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de les modifier ou de ne point les modifier, d’introduire les poids dans la balance ou de les laisser à terre, de délibérer ou de ne pas délibérer, Dans l’état réel de la question, elle nous semble un peu frivole. Si la nécessité des antécédents veut que l’esprit pose, il posera, sinon, non ; si la nécessité des antécédents veut qu’il modifie, il modifiera, sinon, non ; si la nécessité des antécédens veut qu’il délibère, il le fera, sinon, non, Y a-t-il là véritablement un motif d’action ? Je ne l’aperçois point encore[1].

8o Enfin, nous avons dit franchement que, si l’idée de la liberté étant le ressort du progrès chez l’homme, ceux qui travaillent à détruire la croyance à la liberté commettent une mauvaise action, On nous répond « qu’il n’y a nulle contradiction à professer le déterminisme et à croire que l’idée de la liberté peut faire partie des motifs dominants de notre conduite. » L’idée de la liberté reste donc un motif dominant après qu’on a cessé d’y croire ? Nous n’entendons point cela. Si j’évoque à mon gré l’idée de la liberté pour m’en servir contre d’autres mobiles, le déterminisme n’est pas universel : s’il ne dépend point de moi de l’évoquer ou de le laisser dans l’ombre, que sont les équivalents, les approximations du libre arbitre dont on nous parle ? Une illusion dont un esprit subtil s’est enchanté[2].

Ch. Secrétan.

    de sa locomotive. On oublie que l’idée et le désir, toujours présents, sont comme la main toujours posée sur le ressort de la machine : ils sont le moteur du ressort, moteur dont la présence est présupposée par tous.

  1. Cinquième λόγος ἀργός. Ce motif d’action est toujours donné dans la réalité concrète. « Si le motif de fuir la peste surgit par la nécessité des antécédents, je fuirai ; s’il ne surgit pas, je ne fuirai pas. » Sans doute ; mais comment le motif de fuir la peste n’existerait-il pas quand la peste elle-même existe ? Le déterminisme, comme le libre arbitre, suppose assurément des motifs et mobiles donnés, et il y a des circonstances où les motifs et mobiles ne peuvent pas ne pas être donnés. Toute la question est de savoir si, une fois donnés, ils donnent eux-mêmes la détermination, ou si celle-ci requiert encore une volonté distincte et indépendante des motifs ; c’est alors que, en dépit de la peste et du danger, on pourra rester au beau milieu d’un endroit infesté. Appliquons ces principes à ce que dit M. Secrétan : — « Si la nécessité des antécédents veut que l’homme délibère, il le fera, sinon, non. — Sans doute ; mais, dans les circonstances graves, la nécessité des antécédents fait toujours qu’un homme délibère, à moins qu’il ne soit un enfant ou un fou.
  2. Il y a ici une dernière trace du λόγος ἀργός. On nous dit : — Si la nécessité des antécédents « évoque » l’idée de liberté, elle pourra agir ; sinon, non. — Sans doute, mais toute délibération sur des possibles fait nécessairement apparaître l’idée de la puissance même des idées, avec l’idéal de la liberté qui en est inséparable. C’est là une catégorie nécessaire de l’action réfléchie. — Mais « l’idée de liberté, nous demande M. Secrétan, reste donc un motif déterminant, après qu’on a cessé d’y croire ? » — Je ne cesse de croire qu’à sa réalité actuelle en moi, sous la forme illusoire des hiatus, des commencements absolus et du libre arbitre vulgaire, qui n’est qu’une liberté d’indifférence honteuse d’elle-même et de son nom ; cela n’empêche point l’idée bien entendue de la liberté de subsister en moi. L’idée de liberté reste une fin à atteindre, après qu’on a cessé de croire qu’elle est déjà atteinte. Cette fin est toujours présente à la pensée réfléchie, sui compos, et je n’ai pas besoin de l’évoquer par