Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/650

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
646
revue philosophique

que je ne l’ai pas compris. — C’est très possible, c’est même probable. Il se peut aussi qu’il ne s’entende pas bien lui-même, que deux pensées contradictoires s’agitent ensemble dans son esprit et qu’il s’abuse en croyant les avoir réconciliées. Au reste, il n’est pas besoin de le dire, les deux suppositions ne s’excluent pas,

Nous avons mal compris notre savant confrère en pensant qu’il considère l’idée de la liberté comme étant sous tous les rapports une pure et absolue illusion, C’est une exagération. Il part simplement de ce principe « que l’existence de la liberté métaphysique est incertaine et que la prétendue expérience de notre liberté se réduit de fait à l’idée de la liberté, laquelle devient un des facteurs de nos résolutions. » — Nous accordons le second point, et, si l’on s’en tient aux considérations métaphysiques, nous accorderons aussi le premier, Nous voilà bien près de nous entendre. Mais M. Fouillée ajoute aussitôt : « Nous savons de science certaine que tous les phénomènes proprement dits sont enchaînés par le déterminisme. » — Nous n’entendons pas, ne sachant comment limiter la classe des phénomènes proprement dits[1]. Sans cette qualification énigmatique, l’affirmation certaine du déterminisme universel nous aurait paru contredire absolument l’existence incertaine de la liberté métaphysique[2].

6o Je n’entends pas l’opposition qu’établit M. Fouillée entre l’indépendance absolue et l’indépendance relative de nos actions. Il me semble lutter contre un homme de paille (toujours le même), lorsqu’il prouve aux défenseurs de la liberté morale que la volonté n’agit pas sans motifs ou contre les motifs qui lui sont présents[3]. Nous l’approuvons quand il dit que, « une fois conçue et comprise comme désirable, l’idée de ma puissance sur moi tend à se réaliser et pourra se réaliser en effet peu à peu, mais d’une façon régulière et par des moyens déterminés. » Seulement on ne saisit pas clairement quelle est ici la force de cet adjectif déterminés[4]. M. Fouillée ajoute aussitôt : « À tout autre motif, je substiluerai le motif de ma puissance possible, de mon indépendance possible comme être responsable, de ma liberté que je veux essayer de réaliser, et ce motif agira comme les autres, dont il pourra devenir le principe hégémonique. » Ce langage est bien celui d’un philosophe qui tient la perfection morale pour la seule digne de ce nom, mais non, semble-t-il, celui du psychologue de la volonté nulle. — Je

  1. Par là, nous avons fait allusion à la distinction des phénomènes et des noumènes, de l’ordre temporel et de l’ordre intemporel, tant de fois invoquée jadis par l’éminent métaphysicien à l’époque où il ne suivait pas M. Renouvior.
  2. Quelle contradiction y a-t-il à affirmer le déterminisme comme certain dans l’ordre physique où psychique, et la liberté métaphysique où nouménale comme incertaine ?
  3. Pour les partisans de l’indéterminisme criticiste, si la volonté n’agit pas vans motif ni contre les motifs présents, elle peut sans motif changer tout d’un coup son motif présent en un motif subséquent contraire. C’est l’hiatus intellectuel.
  4. C’est-à-dire selon des lois, sans hiatus ni création ex nihilo.