Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/641

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
637
TH. RIBOT. — les bases organiques de la personnalité

représente tantôt un corps entier moins une partie indivise, tantôt une moitié de corps, et, chez les monstres parasitaires, un domaine si mince qu’il n’en peut vivre et qu’il est réduit à avorter.

V

Pour établir une fois de plus et d’une autre manière que le principe d’individuation, c’est l’organisme ; qu’il l’est sans restriction aucune, immédiatement par les sensations organiques, médiatement par les états affectifs et intellectuels dont nous parlerons plus tard ; examinons ce qui se passe chez les jumeaux. La psychologie ne s’est guère occupée d’eux, mais les biologistes nous fournissent de curieux documents.

Rappelons d’abord que les jumeaux doubles représentent, dans la moyenne des naissances, environ 4 sur 70. Les cas où ils sont triples ou quadruples, beaucoup plus rares (1 sur 5,000, 1 sur 150,000), compliqueraient notre recherche sans profit. Rappelons encore que les jumeaux sont de deux espèces : ils viennent chacun d’un ovule distinct, et alors ils sont indifféremment du même sexe ou de sexe différent ; ou bien ils sont dus au développement de deux taches germinatives dans le même ovule, et alors ils sont enveloppés dans la même membrane et invariablement du même sexe. Ce dernier cas seul nous fournit deux personnalités rigoureusement comparables.

Laissons les animaux, pour nous en tenir à l’homme et prendre le problème dans toute sa complexité. Il est évident que, puisque l’état physique et moral des parents est le même pour les deux individus, au moment de la procréation, une cause de différences est par là éliminée. Comme leur développement a pour point de départ les matériaux d’un même ovule fécondé, il y a de très grandes probabilités d’une ressemblance extrême dans la constitution physique et par suite, d’après notre thèse, dans la constitution mentale. Voyons les faits en notre faveur ; nous examinerons ensuite les objections et exceptions.

La parfaite ressemblance de certains jumeaux est d’observation vulgaire. Dès l’antiquité, elle avait fourni matière aux poètes comiques, et, depuis, les romanciers en ont plus d’une fois usé. Mais ils s’en tiennent souvent aux ressemblances extérieures : taille, formes, visage, voix. Il y en a de bien plus profondes. Les médecins ont remarqué depuis longtemps que la plupart des jumeaux présentent une conformité extraordinaire de goûts, d’aptitudes, de facultés et même de destinées. Récemment, M. Galton a poursuivi une enquête