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MARION. — james mill

merce des esclaves et de l’émancipation catholique ; mais pour tout le reste, il y avait incompatibilité entre la politique aristocratique et celle du droit populaire. La Quarterly Review, qui soutenait aussi, mais avec moins de talent et de gravité, les privilèges de l’aristocratie et de l’Église d’Angleterre, fut l’objet d’une critique encore plus hautaine. Les articles sur les Établissements ecclésiastiques (dénoncés comme antichrétiens par essence), sur la Formation des opinions, l’État de la nation, le Secret du vote, l’Église et sa réforme, l’Aristocratie, furent autant d’actes politiques. Réimprimés à part et vendus comme brochures à bon marché, plusieurs de ces articles contribuèrent puissamment au progrès des idées nouvelles. La célèbre réforme parlementaire de 1832 fut, on peut le dire, l’œuvre de Mill autant que de pas un homme d’État.

Malheureusement, comme il était au point culminant de sa carrière sa santé se trouva profondément altérée, La goutte, dont il avait toujours souffert, se porta aux yeux et finalement tourna à la phthisie. À la suite d’un crachement de sang (août 1835), il arriva fort malade au milieu des siens à la campagne, y passa l’hiver, revint à Londres au printemps, mais ne se releva plus. Malgré sa délicatesse native, il avait déployé depuis trente ans une activité qui eût été excessive pour les plus robustes. S’il s’était ménagé comme Locke, peut-être eût-il atteint un grand âge ; mais, surmené, usé par le travail, dès qu’il s’arrêta les médecins ne virent plus de ressources. Il s’éteignit sans souffrances à l’âge de soixante-trois ans, le jeudi 23 juin 1836, dans l’après-midi, au moment même où son disciple et ami Georges Grote prononçait au parlement son grand discours sur le scrutin.

VI

Ce n’était pas un grand homme qui disparaissait ni une figure de premier ordre, mais c’était une personnalité vigoureuse, des plus originales des plus importantes historiquement, de celles qui font la besogne pendant que les autres font le bruit. C’était un homme, un caractère. Aimable ? Pas toujours. Mais pur, loyal, sévère à lui-même, s’il l’était aux autres, d’une décision rare, d’une ténacité plus rare encore. Cela, au service d’idées générales et d’intérêts publics, ce qui est la vraie marque de la volonté ; car l’activité, si énergique qu’elle soit, n’est pas le pur vouloir, quand elle a pour ressorts des passions personnelles. Ce n’est pas que Mill fût sans passion : il y a toujours des sentiments forts à la source des grandes énergies. Il