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FOUILLÉE. — causalité et liberté

une pure fiction et que que tous les corps agissent réellement les uns sur les autres jusque dans leurs particules dernières. — Mais la liberté du point matériel, selon nous, est bien moins une fiction qu’une abstraction, comme la ligne, le plan, etc. M. Tannery ajoute que le principe d’inertie est une définition arbitraire : — « Nous pourrions, par exemple, dit-il, affirmer, suivant d’antiques théories, que le point matériel libre se meut d’un mouvement circulaire et uniforme autour d’un point fixe de l’espace ; nous pourrions affirmer qu’il reste nécessairement en repos (selon la définition proposée par Kretz dans son opuscule : Matière et éther). » cela nous repondrons : — Si le point est en repos, il restera en effet en repos. S’il est en mouvement rectiligne, il restera en mouvement rectiligne tant qu’une raison autre n’agira pas sur lui, tant qu’une autre donnée ne sera pas introduite dans le problème. Enfin, si un point, pour une raison quelconque, décrit un cercle, il continuera de suivre ce cercle tant que d’autres raisons et données n’interviendront pas. — Sous cette forme, le principe d’inertie nous semble une simple application de la causalité et de la raison suffisante, qui elles-mêmes reviennent à dire : les mêmes solutions subsistent avec les mêmes données.

L’inertie est simplement l’identité des conséquences dans l’identité des principes. En d’autres termes, elle est une affirmation du déterminisme, une négation de toute contingence et de tout libre arbitre. Les partisans plus récents de la contingence métaphysique et même physique comme conciliable avec la causalité, ont essayé de reporter cette contingence jusque dans les détails, au lieu de la laisser seulement comme Leibnitz, dans l’ensemble. Pour cela, ils se sont appuyés sur un raisonnement qui consiste à confondre la nouveauté de fait avec la contingence, germe du libre arbitre[1]. — Le nouveau, dit-on, est un fait indéniable ; il y a donc, dans le détail même du monde, quelque chose qui commence, ne fût-ce que la forme nouvelle, l’apparence du commencement ; pourquoi alors, ajoute-t-on, ne pas admettre un premier commencement absolu, puisqu’il faut toujours admettre un premier commencement relatif ? Et s’il y a du nouveau, il y a plus dans l’effet que dans la cause, il y a création, il y a progrès. La cause ne contiendra jamais « ce en quoi l’effet se distingue d’elle[2] ». « Si l’effet est de tout point identique à la cause, il ne fait qu’un avec elle et n’est pas un effet véritable. » Si au contraire il se distingue de la cause, au moins pour la qualité, il faut

  1. Par exemple, MM. Zeller, Boutroux, Renouvier, etc.
  2. M. Boutroux, La contingence des lois de la nature, 29, 30.