Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/502

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
498
revue philosophique

tique, dont la régularité exprime, au fond que l’asservissement imitatif des masses à des fantaisies ou à des conceptions individuelles d’hommes supérieurs, a pu être invoquée comme confirmation du préjugé à la mode, suivant lequel les faits généraux de la vie sociale seraient régis, non par des volontés ou des intelligences humaines, mais par des mythes appelés lois naturelles !

Déjà, cependant, la statistique de la population aurait dû faire ouvrir les yeux. Le chiffre de la population ne reste stationnaire en aucun pays ; il croit ou décroît avec une lenteur ou une rapidité singulièrement variable de peuple à peuple, de siècle à siècle. Comment expliquer cela dans l’hypothèse de la physique sociale ; et nous-même comment expliquerons-nous cela ? Voilà un besoin assurément très antique, le besoin de paternité, dont le chiffre annuel des naissances exprime éloquement le degré de hausse ou de baisse dans le public. Or, tout antique qu’il est, la statistique nous le montre soumis à d’énormes oscillations, et l’histoire consultée nous laisse apercevoir dans le passé, dans celui de notre France par exemple, une succession de dépeuplements et de repeuplements graduels, alternatifs, du territoire. — C’est que ce caractère d’antiquité est purement apparent. Autre est le désir instinctif et naturel, autre est le désir social, imitatif et raisonné, de devenir père. Le premier peut être constant ; mais le second, qui se greffe sur le premier à chaque grand changement de mœurs, de lois ou de religion, est sujet à des fluctuations et à des renouvellements séculaires. L’erreur des économistes est de confondre celui-ci avec celui-là, ou plutôt de ne considérer que celui-là, tandis que celui-ci importe seul au sociologiste. Or il y a autant de besoins distincts et nouveaux de paternité, dans le second sens, qu’il y a de motifs distincts et successifs pour lesquels l’homme en société veut avoir des enfants. Et toujours, à l’origine de chacun de ses motifs, comme explication de leur naissance, nous trouvons des découvertes pratiques ou des conceptions théoriques. L’Espagnol ou l’Anglo-Saxon de l’Amérique est fécond, parce qu’il a l’Amérique à peupler ; sans la découverte de Christophe Colomb, combien de millions d’hommes ne seraient pas ! L’Anglais insulaire est fécond, parce qu’il a le tiers du globe à coloniser : conséquence directe, entre autres Causes, de cette suite d’heureuses explorations et de traits de génie maritime ou guerrier, ou d’initiatives privées surtout, qui lui ont valu ses colonies. En Irlande, l’introduction de la pomme de terre a élevé la population de 3 millions en 1766, à 8 millions 300,000 en 1845. L’Aryen antique veut une postérité pour que la flamme de son foyer ne s’éteigne pas et soit arrosée tous les jours de sa liqueur sacrée, car sa reli-