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ple, la consommation de telle substance, café ou chocolat, cesser de croître dans une nation à partir de telle date, je sais que la force du besoin correspondant est précisément égale à celle des besoins rivaux dont une satisfaction plus ample du premier exigerait le sacrifice, vu le niveau des fortunes. Là-dessus se règle le prix de chaque objet. Mais est-ce que chacun des chiffres annuels des séries progressives, des côtes, m’exprimait pas, lui aussi, une équation entre la force du besoin dont il s’agit à la date indiquée et la force des besoins concurrents qui, à la même date, l’ont empêché de se développer davantage ? Si d’ailleurs la progression s’est arrêtée à tel point plutôt qu’à tel autre, si le plateau n’est pas plus élevé ou plus bas dans chaque cas, n’est-ce pas un pur hasard historique qui en est cause, c’est-à-dire le fait que les inventions contradictoires d’où sont nés les besoins hostiles par lesquels la progression est endiguée, ont apparu ici plutôt que là, à telle époque plutôt qu’à telle autre, et enfin ont apparu au lieu de ne pas apparaître ? — Ajoutons que les plateaux sont toujours des équilibres instables. Après une horizontalité plus ou moins approximative, plus ou moins prolongée, la courbe va se remettre à monter ou à descendre, la série à croître ou à décroître, suivant qu’il surviendra une nouvelle invention auxiliaire ou hostile, confirmative ou contradictoire. Quant aux séries décroissantes, on le voit, elles sont un simple effet des croissances victorieuses qui refoutent l’opinion ou le goût public en voie de déclin, naguère ou jadis en voie de progrès, et elles ne méritent d’être considérées par le théoricien que comme l’image renversée des séries croissantes qu’elles supposent.

Aussi constatons-nous que, toutes les fois qu’il est donné au statisticien de prendre une invention à sa naissance et de tracer annuellement le cours numérique de ses destinées, il met sous nos yeux des lignes constamment ascendantes, du moins jusqu’à une certaine époque, et même très régulièrement ascendantes pendant un certain temps beaucoup plus court. Si cette régularité parfaite ne persiste pas, cela tient à des causes que nous allons indiquer bientôt. Mais quand il s’agit d’inventions très anciennes, telles que le mariage monogamique et chrétien, qui ont eu le temps de traverser leur période progressive et de remplir jusqu’aux bords pour ainsi dire tout leur bassin propre d’imitation, il ne faut pas s’étonner si la statistique, qui n’a pas assisté à leurs débuts, déroule à leur égard des horizontales à peine flexueuses. Que le nombre annuel de mariages reste en proportion à peu près constante avec le chiffre de la population (sauf en France par exemple, où il y a une lente diminution proportionnelle), et même que l’influence du mariage sur la criminalité