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veitch. Hamilton.

du temps ou des phénomènes dans le temps, d’une part, et, de l’autre, un commencement absolu du temps ou des phénomènes dans le temps, n’est pas un objet dont le genre diffère entièrement de celui des objets d’expérience. Nous connaissons en effet le temps et les phénomènes qui se succèdent en lui, et, quand nous remontons par une régression infinie à un commencement inconditionné, il nous semble que nous transportons au delà de notre expérience actuelle, ou mieux de toute expérience possible, un concept défini des choses que nous pouvons expérimenter. En réalité, nous cherchons à étendre notre connaissance actuelle jusqu’en un point où il n’y a plus d’expérience, mais nous ne cessons de la relier à notre expérience actuelle, de manière à en former, comme si c’était possible, un tout. Ces inconditionnés feraient plutôt penser aux antinomies de Kant ; mais chez l’un et l’autre philosophe la solution des contradictions est très différente, comme aussi la manière de les entendre et de les présenter.

En résumé, une lecture attentive de l’œuvre de Hamilton aurait dû lui épargner le reproche de « créer une entité logique purement fictive », une réalité absolue, inconditionnelle, impossible à qualifier, existant en soi et pour soi, indépendamment de tout esprit qui la connaisse, en même temps qu’il aurait voulu démontrer l’impuissance de la conscience, son incapacité absolue de concevoir cette fiction. Ce reproche n’est ni exact ni loyal. Il n’y a rien, dans les expressions de Hamilton, rien dans ses raisonnements qui le justifie. Mais cette fiction d’une entité logique était, lorsque Hamilton aborda le problème de l’inconditionnel, le fondement d’une théorie philosophique très prétentieuse. Il se donna la tâche d’établir que cette prétendue réalité était contradictoire, ou se ramenait aux deux alternatives de l’absolu ou de l’infini, l’un et l’autre inconcevables, comme soustraits à la connaissance dont le premier caractère est la relativité. Par une singulière fortune, Stuart Mill lui a reproché d’avoir édifié ce qu’il avait au contraire renversé.

J’ai suivi de très près les critiques de M. Veitch. Je m’en tiens à cet exemple. Ce petit volume en fournirait plusieurs autres. L’auteur de l’Examen de la philosophie de Hamilton n’aurait pas mieux compris la théorie de la relativité de la connaissance, et il faudrait suspecter, du moins au point de vue de l’exactitude historique, la valeur du fameux chapitre dont M. Renouvier a dit : « C’est un des plus beaux spécimens que nous connaissions de puissance analytique et dialectique, » Si toutes les critiques de M. Veitch étaient fondées, et nous ne nous chargeons pas d’en décider ici, ce serait une preuve nouvelle de la difficulté que les esprits les plus distingués éprouvent à se bien comprendre. Il faudrait alors relever Hamilton des charges que son adversaire avait fait peser sur lui ; mais il n’en resterait pas moins dans le livre de Stuart Mill d’excellents passages, surtout au point de vue de la philosophie expérimentale, et en assez grand nombre pour assurer sa réputation de logicien.


A. Penjon.