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TARDE. — l’archéologie et la statistique

creusé. Il ne vient pas à l’esprit d’expliquer ces ressemblances par une coïncidence fortuite. Tel est le postulat qui sert de guide en ces questions et qui, employé par des esprits sagaces, ne trompe jamais. Trop souvent, il est vrai, entrainés par les préjugés naturalistes de leur âge, les savants ne se bornent pas à déduire des similitudes limitation, et ils en induisent la parenté. Par exemple, des fouilles faites récemment à Este, en Vénétie, ayant donné des vases, des situles et autres objets qui présentent des ressemblances étranges avec le produit des fouilles faites à Vérone, à Bellune et ailleurs, M. Maury incline à penser que les auteurs de ces tombeaux divers appartenaient à un même peuple, conjecture que rien ne paraît justifier, mais il a soin d’ajouter : où du moins « à des populations observant les mêmes rites funéraires et ayant une industrie commune », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. En tout cas, il semble bien certain que les soi-disant Étrusques du Nord, de la Vénétie, si tant est qu’ils eussent du sang étrusque dans les veines, le mélangeaient fortement de sang celtique. D’ailleurs, M. Maury remarque à ce propos l’influence qu’une nation civilisée a toujours exercée sur les barbares ses voisins, même sans conquête. « Les Gaulois de la Gaule cisalpine, dit-il, imitèrent visiblement le travail étrusque. » Ainsi la similitude des produits artistiques ne prouve rien en faveur de la consanguinité et révèle seulement une contagion imitative.

Il est possible à la rigueur que certaines idées très simples, cuire l’argile au soleil pour en faire des vases, superposer des pierres pour bâtir des murs, etc., suggérées naturellement, ce semble, par les besoins les plus primitifs, se soient présentées d’elles-mêmes sans nulle imitation à l’esprit de peuplades différentes. Le fait n’est pas prouvé ; mais, le serait-il, et des coïncidences pareilles, d’un caractère fortuit bien authentique, se produiraient elles-mêmes au cours de deux civilisations avancées[1], elles ne seraient pas plus, à vrai dire, un argument contre notre thèse que les analogies fonctionnelles de l’aile de l’oiseau et de l’aile de l’insecte, par exemple, ne témoignent contre le grand principe, admis implicitement en biologie par la nouvelle école, que toute similitude vraie dans le monde vivant a pour cause l’hérédité. Admettons, par exemple, avec M. Wiener (dans son livre si intéressant sur le Pérou), que l’on puisse rapprocher de l’atrium romain, et aussi bien de son dérivé le cloître, l’espèce

  1. D’après Littré, bien des maladies que nous avons cru découvrir et que nous nous sommes empressés de baptiser étaient déjà connues de l’école hippocratique. Il y a eu là réinvention véritable. Mais, à l’inverse, combien d’inventions chinoises ont passé chez nous depuis des milliers d’années, dont nous croyons être les auteurs !