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par sa différence avec un autre ; or cette différence, pour exclure l’équilibre mutuel ou l’état neutre, implique un changement, un mouvement, par conséquent une succession. Si donc percevoir est discerner et si discerner implique la conscience d’une succession, cette conscience doit être en nous un fait primitif, universel, avec lequel commence la pensée même. Comme la dualité et la relation, la succession dans le temps est la forme constitutive de la pensée claire. Auparavant il pouvait y avoir sensation, conscience immédiate d’un état non distingué ; il n’y avait pas perception ni pensée proprement dite : la pensée ne commence qu’avec la conscience d’une succession.

S’il en est ainsi, nous ne pouvons penser une représentation sans concevoir une représentation qui la précède. Nous plaçons nécessairement nos représentations sur la ligne du temps, qui n’est que la direction linéaire de la pensée. Toute représentation en fait nécessairement surgir une autre ; il n’y a point de perception présente sans quelque souvenir, sans quelque représentation du passé. En un mot, notre conscience est comme une enceinte sonore où chaque son a nécessairement un écho et où jamais un son isolé ne peut se produire. De là notre tendance constitutionnelle à attendre toujours une succession d’antécédents et de conséquents. Comment ne serait-ce pas la démarche naturelle de la conscience pensante, puisque c’est la conscience même en exercice ? Si je m’évanouis, je perds la conscience de la succession ; si je reviens à moi, je la retrouve. Le mouvement d’une représentation à une autre ou, comme disait Leibnitz, le passage d’une perception à l’autre est aussi essentiel à la pensée (nous ne disons pas comme lui à la conscience) que le passage d’un point de l’espace à l’autre est essentiel au corps qui se meut, que l’oscillation est essentielle au pendule, l’ondulation au rayon de lumière. C’est, si l’on veut, le rythme naturel à la pensée que d’aller toujours du phénomène présent en arrière par le souvenir et en avant par l’attente. Arrêtez ce balancement de l’horloge intellectuelle, sur la pensée détruite « le temps dort immobile ». Nous ne faisons que traduire cette loi de notre constitution mentale sous une forme abstraite et objective quand nous disons : Toute chose succède à une autre, tout phénomène a un antécédent, — ce qui est la première moitié du principe des lois ou de la causalité scientifique.

Nous venons d’expliquer psychologiquement cette première moitié. Expliquons-la physiologiquement. Selon nous, ce n’est encore que la traduction intellectuelle du mouvement réflexe. Nous savons que tout mouvement réflexe forme un arc dont les deux branches, action