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FOUILLÉE. — causalité et liberté

stitutive de la conscience même. Nous ne recevons pas d’en haut l’axiome d’identité tout formé ; c’est nous qui le formons en exprimant par des mots la condition primordiale et l’action normale de notre pensée : je sens = je sens ; je souffre = je souffre. La pensée ne fait ainsi que se poser elle-même.

— Mais, dira-t-on, nous ne croyons pas seulement que notre pensée est identique à elle-même, nous croyons aussi que les objets de notre pensée sont nécessairement et universellement identiques à eux-mêmes ; comment érigeons-nous la nécessité propre de notre pensée en une nécessité universelle des choses ? — La réponse est contenue dans la question même : puisque nous ne connaissons les objets que par notre pensée, c’est-à-dire par nos états de conscience et leurs relations, nous ne pouvons faire autrement. En repoussant de soi la contradiction, la pensée la repousse par là même de son objet, car, pour concevoir la contradiction dans les objets, il faudrait qu’elle la reçût d’abord en elle-même, ce qui est de fait impossible. La loi nécessaire et universelle de notre pensée devient donc pour nous une loi nécessaire et universelle des choses ; et comme nous ne pouvons sortir de nous-mêmes, l’universalité pour nous revient pratiquement à l’universalité pour nos objets : quant aux objets qui ne sont pas les nôtres, ils sont un dont nous n’avons rien à dire. On peut, si l’on se plaît à ces jeux d’esprit, supposer de cet qu’il est l’identité des contraires ; on peut prétendre que le principe de contradiction est seulement valable pour nous et de fait ; comme c’est toujours nous qui faisons la supposition, nous roulons dans un cercle dont il est impossible de sortir. Chaque conscience est une monnaie frappée à l’effigie du monde, et les lois du grand balancier se retrouvent dans l’empreinte ; mais, d’autre part, nous ne connaissons le balancier et la loi du monde que par l’empreinte. Au-delà de ce cercle, il n’y a pour nous rien de pensable.

Le second principe directeur de toute connaissance, c’est le principe de succession uniforme ou de loi ; tout phénomène succède uniformément à un autre phénomène. Ce principe contient deux affirmations : 1o que tout phénomène a un autre phénomène pour antécédent, 2o que les mêmes phénomènes ont les mêmes antécédents. En d’autres termes, il y a partout succession et succession uniforme, par conséquent loi. C’est le principe de causalité scientifique.

Comment expliquer ce principe ? — Il est encore la traduction de la forme essentielle de la conscience, qui est la différenciation aboutissant à l’union.

Nous venons de le voir, nous ne distinguons un phénomène que