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TANNERY. — héraclite et le concept de logos

À notre tour, nous connaissons mieux l’Égypte aujourd’hui depuis une époque relativement rapprochée ; c’est ce qui explique comment, avant Teichmüller, aucun historien de la philosophie n’a deviné cette influence indirecte de l’Égypte sur Héraclite. Mais plus on approfondira la question désormais, moins il semblera, je crois, que, quant à la doctrine du moins, cette influence puisse être exagérée. En ce qui concerne les mœurs, il faut au contraire remarquer qu’Héraclite reste profondément grec. Son mot : « Les morts sont à rejeter encore plus que le fumier[1], » peut indiquer notamment la répulsion qu’il doit éprouver pour les procédés d’embaumement.

III

LA TRADITION ÉGYPTIENNE

Nous nous contenterons d’analyser rapidement les principales opinions de l’Éphésien, en essayant de les ramener à leurs sources probables lorsqu’elles n’auront pas un caractère essentiellement original.

Tout d’abord, en ce qui concerne l’unité fondamentale de la matière, Héraclite est d’accord avec les physiologues milésiens, dont la doctrine concorde sur ce point avec la cosmogonie égyptienne, tandis qu’elle est en opposition avec le dualisme pythagoricien. Mais il abandonne les conceptions hellènes d’Anaximandre sur le rôle de la révolution diurne et retourne à la cosmologie de Thalès, c’est-à-dire à l’Égypte[2] ; la terre plate, entourée de l’Océan, d’où partent et où reviennent les barques, les bassins circulaires des astres. Cependant un élément, capital lors de la conception originaire de ces barques, est désormais laissé de côté. Elles ne naviguent plus sur une voûte liquide, les eaux d’en haut, mais flottant dans l’air ou au-dessus, dans l’éther, la lune au plus près de la terre, puis le soleil, enfin les planètes et les étoiles. Si, dans cet ordre, on ne peut méconnaitre la représentation chaldéenne du ciel (Anaximène et les Pythagoriciens), il faut remarquer qu’il s’était très probablement introduit déjà dans l’astronomie égyptienne, où la tradition grecque nous le montre dès Nécepsos (viie siècle av. J.-C.).

  1. Fr. 53 : « Toute chair est cadavre et partie de cadavre » continue l’Éphésien, ce qui paraît se rapporter au conseil de s’abstenir des viandes, régime qu’il adopta vers la fin de sa vie et qui amena l’hydropisie dont il mourut.
  2. Voir mon article Thalès et ses emprunts à l’Égypte (Revue philosophique, IX, p. 813 et suiv.).