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BÉNARD. — problème de la division des arts

Ou bien est-ce un accord plus intime dont le secret et le lien est une unité vivante, non l’effet d’une rencontre et d’une combinaison ? Tout cela est sans réponse dans la théorie kantienne.

Si l’on presse davantage et qu’on demande : L’art en lui-même, qu’est-il ? on obtient, entre plusieurs définitions, celle-ci : « L’art est une exhibition des idées esthétiques. » Mais ces idées, que sont-elles ? Il est malaisé de le dire. Ce sont à la fois des idées abstraites extraites du monde sensible, des types, des formes, non des concepts, mais associés à des concepts. C’est, dit Kant, une représentation de l’imagination qui donne occasion de beaucoup penser sans qu’aucun concept lui puisse être adéquat. C’est le pendant d’une idée rationnelle[1]. Rien de plus confus, de plus embrouillé que cette définition, et le langage de Kant est loin d’être clair dans toute cette théorie,

Ce qui est clair, c’est que tout est abstrait dans ce système et dans cette théorie, dont, il ne faut pas non plus l’oublier, le dernier mot est que le but de l’art est le but moral et le perfectionnement de la faculté de connaître. Le beau est le symbole du bien (Krit. der r. Vernunft), Kant à chaque instant prend soin de le rappeler.

Nous ne poursuivons pas plus loin cet examen de la théorie kantienne de l’art. Elle contient certes des vues originales et remarquables, souvent justes et profondes, sur l’analogie de l’art avec la nature, sur le génie, ses caractères, ses rapports avec le goût, sur imagination, comme réunissant les deux facultés de l’esprit, la sensibilité et l’entendement, sur les qualités du goût, la diversité des goûts, l’antinomie du goût et la manière de la résoudre, etc. Très précieuses au point de vue psychologique et métaphysique, ces analyses sont une pierre d’attente pour une théorie supérieure qui saura expliquer ce qui n’est ici qu’affirmé et décrit. Mais on se refuse à y reconnaître une véritable théorie de l’art cohérente et conséquente,

Avec une pareille conception de l’art, comment distinguer ses formes, classer ses genres et ses espèces ? Sur cette base, comment édifier le vrai système des arts ? Là apparaît le vice radical de l’esthétique kantienne. D’abord Kant ne se soucie guère de traiter sérieusement ce sujet, il n’a pas l’air d’y attacher beaucoup d’importance, Il a bien soin de répéter que c’est un essai, une ébauche. L’art esthéti-

  1. Par idée esthétique, j’entends une représentation de l’imagination qui donne [illisible] de beaucoup penser sans qu’aucune pensée déterminée, c’est-à-dire sans qu’aucun concept lui puisse être adéquat et que par conséquent aucune parole puisse parfaitement l’exprimer et faire comprendre. — On voit aisément que c’est le pendant d’une idée rationnelle qui au contraire est un concept auquel où ne peut trouver d’intuition, de représentation de l’imagination adéquate, etc. Plus loin, la définition est reproduite en termes plus confus et plus embrouillés encore (V. § 49).