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ANALYSES.y. guyot. La Morale.

tant tant plus précieux que la vie errante de l’auteur fait contribuer à ces renseignements presque tous les pays de la chrétienté. Ses deux grands traités De la philosophie occulte et De l’incertitude des sciences sont justement célèbres. Le premier est le résumé substantiel de toutes ces sciences mystérieuses, dont le rôle a été peut-être plus grand encore à la Renaissance qu’au moyen âge et qui n’ont pas été sans influence sur les méthodes et les découvertes de la science moderne, à la lumière de laquelle elles devaient s’évanouir. Le second est une vive satire de toutes les sciences que le moyen âge avait léguées à la Renaissance, sans excepter cette philosophie occulte, dont Agrippa se montrait tout ensemble l’adepte fidèle et désabusé. C’est surtout par cette satire qu’il mérite une des premières places parmi les maîtres de la Renaissance. Pour fonder la science moderne, il fallait renverser tout ce qu’elle était destinée à remplacer. Il fallait, suivant les formules de Bacon, que la pars destruens précédât la pars præparans. Nul, dans l’œuvre destructive, n’a déployé plus de verve, plus de malice, une érudition plus variée et un bon sens plus solide que ne l’a fait Agrippa, jusque dans ses plus étranges paradoxes[1].

Émile Beaussire (de l’Institut).

Yves Guyot.La Morale. Bibliothèque matérialiste. Paris, O. Doin et Marpon et Flammarion, 1883, 1 vol.  in-18, 356 pages.

La conception positive de l’homme et du monde qui tend de plus en plus à s’imposer aux esprits exige que la morale ancienne soit remplacée par une morale entièrement différente. Le fondement doit changer, les préceptes aussi, et beaucoup plus qu’on n’est généralement porté à le croire, même quand on a des idées relativement avancées. On dit souvent que les honnêtes gens de toutes les opinions doivent s’entendre sur les préceptes de la morale. C’est là une erreur profonde ; je ne veux pas dire qu’il n’y ait absolument rien de commun entre l’ancienne morale et la morale future ; je ne veux pas dire non plus que, actuellement, les incrédules et les croyants ne puissent s’entendre sur bien des points de fait, mais je crois que les divergences doivent être très considérables et que l’accord qui pourrait s’établir actuellement encore est dû en grande partie à une conservation excessive des anciennes doctrines, à ce que peu de gens se sont transformés assez complètement et ont « dépouillé le vieil homme ». On se demande, à vrai dire, si l’opération est possible et si l’humanité n’aura pas l’esprit et la volonté faussés à tout jamais. Quoi qu’il en soit, il est naturel que ceux qui croient que la seule chance de salut se trouve

  1. Devançant le plus illustre de nos poètes contemporains, il charge un âne de faire la leçon aux docteurs et il est juste d’ajouter que, si l’apologue manque un peu d’à-propos en 1880, d’utiles et fécondes vérités pouvaient revêtir en 1530 le tour le plus piquant.