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ANALYSES.a. prost. Corneille Agrippa.

pas pour constituer une philosophie commune, une philosophie objective : il faut encore tenir compte de la pensée d’autrui et examiner les problèmes sous toutes leurs faces. Ce n’est là ni un éclectisme superficiel ni une conciliation systématique ; c’est tout simplement le contrôle de la pensée et l’examen contradictoire. « Le raisonnement philosophique, selon M. P. Janet, pour compenser ce qui lui manque du côté de la vérification rigoureuse, doit se contrôler lui-même, être bilatéral, examiner à la fois le pour et le contre, être enfin ce que les Anglais appellent l’examen contradictoire, cross-examination. »

Alexis Bertrand.

Auguste Prost. Les sciences et les arts occultes au xvie siècle. Corneille grippa, sa vie et ses œuvres. 2 volumes. Paris, Champion, 1881-1882.

M. Prost est à la fois un érudit très distingué et un ardent patriote messin. Il a été, pendant le siège de 1870, l’âme de la population civile de Metz dans les efforts qu’elle a faits pour permettre à l’armée enfermée dans ses murs de prolonger la résistance jusqu’aux plus extrêmes limites[1]. On n’a pas oublié l’émotion produite par sa déposition lors du procès qui s’est terminé par la condamnation du commandant en chef de cette armée. Tout ce qui touche à l’honneur de sa chère ville était déjà l’objet de son plus vif intérêt et de ses études de prédilection, avant qu’elle lui fût devenue plus chère encore par un désastre immérité. Exilé volontaire à Paris, toujours occupé de travaux d’érudition, qui lui ont valu, il y a deux ans, l’honneur d’être élu président de la Société des antiquaires de France, le patriote messin se retrouve dans tous ses travaux, quel qu’en soit le sujet. C’est ainsi que M. Prost a été amené à s’occuper de Corneille Agrippa par l’invective que le célèbre philosophe de la Renaissance a lancée contre la ville de Metz : Omnium bonarum litterarum virtutumque noverca, civitas metensis. Il s’est demandé ce que signifie exactement cette invective et quelle autorité elle peut recevoir du caractère de son auteur.

La ville de Metz n’est pas la seule qu’Agrippa ait ainsi flétrie. Quand il a quitté les Pays-Bas et la petite cour qui y représentait le gouvernement impérial de Charles-Quint, la même invective est tombée de sa plume, dans des termes identiques : Omnium bonarum litterarum virtutumque noverca, aula Cæsarea. Quelques années auparavant, datant une lettre de Fribourg, il avait imprimé au nom de cette ville une flétrissure à peu près semblable : ex Friburgo Helvetiorum, omnium scientiarum cultu deserto ac destituto. Ces expressions méprisantes, appliquées à tous les lieux où il a rencontré des difficultés et où peut-être il se les est suscitées par son esprit agressif et l’intempérance de

  1. Ces efforts ont été exposés par M. Prost lui-même dans une publication ordonnée par le Conseil municipal de Metz : Le blocus de Metz en 1870. Metz, Réau, 1871.