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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

purement mélodiques que l’analyse doit d’abord la chercher. Et c’est à quoi je viens de m’appliquer.

Mais si l’harmonie que comporte le mode mineur ne crée pas le caractère de ce mode, puisque ce caractère est déjà dans la mélodie, il n’en est pas moins vrai que les accords de l’harmonie en mineur se conforment au caractère de la mélodie et le renforcent. La même remarque doit être faite en ce qui touche la mélodie et l’harmonie du mode majeur. Aussi, quoique les acousticiens et esthéticiens les plus récents aient renversé l’ordre chronològique des phénomènes et présenté la seconde cause comme si elle était la première et même la seule, leur explication de l’influence et du caractère de nos deux modes par la nature des accords est précieuse et doit être ajoutée à l’explication qui se tire, de la marche mélodique, parce qu’elle en est le complément nécessaire. Malgré les différences qui existent entre les rapports de succession mélodique et les rapports de simultanéité harmonique, on va voir, par une page de M. P. Blaserna, que les deux explications, loin de se contrarier, se confirment et se vérifient l’une l’autre.

Écoutons l’éminent professeur à l’Université de Rome, qui est l’un des plus habiles disciples de H. Helmholtz.

« Tandis que, dans l’accord parfait majeur, — dit-il, — tous les sons résultants renforcent l’harmonie existante, dans l’accord mineur quelques-uns la troublent. S’ils étaient forts, ils suffiraient pour rendre l’accord dissonant. Tels qu’ils sont, ils lui impriment un caractère inquiet, indécis.

« Ces deux accords parfaits, majeur et mineur, forment la clef de voûte de notre système musical. Ils se rencontrent souvent, et tout morceau de musique doit se terminer par l’un ou par l’autre.

« Ce sont vraiment les accords fondamentaux, et ils impriment à toute composition leur caractère propre.

« Les morceaux construits sur l’accord parfait majeur ont un caractère gai, brillant, franc, ouvert et s’adaptent bien aux dispositions analogues de l’esprit. Ceux au contraire qui ont pour base l’accord parfait mineur, sont tristes et mélancoliques, ou, pour s’exprimer plus exactement, inquiets, indécis et s’adaptent par suite aux dispositions de l’esprit où l’inquiétude et l’indécision jouent le principal rôle[1]. »

Donc, notons-le avec soin, dans le mode majeur, harmonie renforcée par les sons résultants : de là un caractère gai, franc, ouvert. Dans le mode mineur, harmonie troublée par les sons résultants :

  1. Blaserna et H. Helmholtz, Le son st la musique, p. 88.