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ties de mon corps, l’une joue toujours un rôle plus actif et me donne des sensations objectives ; l’autre joue un rôle passif et me donne des sensations subjectives. Les sensations que me donne un même organe peuvent prendre un caractère d’objectivité ou de subjectivité suivant que cet organe est plus ou moins actif. Par exemple, je vise avec ma plume l’index de ma main gauche, de façon qu’il y ait un intervalle de quelques centimètres entre le bec de la plume et le bout de l’index. Si maintenant, tenant le doigt immobile, je le touche à plusieurs reprises avec la plume, je n’éprouverai que des sensations toutes subjectives de piqûre. Au contraire, si, tenant la plume immobile, je la touche avec le doigt, mes sensations prendront un caractère nettement objectif ; c’est à l’objet même que j’attribuerai leur qualité je n’aurai plus conscience d’éprouver une sensation aiguë, mais de palper un objet pointu.

Ce n’est pas avec le toucher seul que je perçois mon corps : je puis le regarder en même temps que je touche. Dans ce cas, la vue, étant plus perfectionnée que le toucher, jouera toujours le rôle actif c’est par mes sensations visuelles que je percevrai mon corps, et par mes sensations tactiles que je le sentirai. Ainsi, quand je me frotte les mains, je vois leurs images glisser l’une sur l’autre, et en même temps je sens leur frottement. Si j’appuie mon doigt sur cette table, je perçois la forme de mon doigt et sens la pression qu’il éprouve ; si j’étends le bras, je le vois s’allonger, et j’ai conscience d’un effort musculaire. — Il est des cas où il semble bien qu’aucune sensation subjective ne réponde à la perception visuelle du corps, par exemple lorsque je regarde ma main en ne m’occupant que de sa coloration. Mais ces cas, où la perception du corps est purement objective, sont fort rares. Le seul fait de porter mon attention sur une partie de mon corps suffit pour me faire prendre conscience d’un certain nombres d’impressions, qui aupara-vant passaient inaperçues : ainsi il me suffit de penser à mon pied pour éprouver dans cet organe une sensation due au contact du sol ou à la pression de ma chaussure ; à ma main, pour sentir qu’elle repose sur cette table. Lors donc que j’explore avec le regard les différentes parties de mon corps, la série de mes perceptions visuelles est accompagnée de sensations subjectives de température, de démangeaison, de fourmillement, etc., qui me font sentir la partie perçue, aussi réellement que si mon regard même faisait sur elle une impression matérielle. — La perception de notre corps a donc bien pour condition nécessaire et suffisante l’union de deux sensations : l’une objective, par laquelle je perçois la forme du