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ANALYSES. — GUSTAV TEICHMÜLLER. Literarische Fehden.

renferme, à côté d’emprunts faits sans pudeur aux Lois et de critiques qu’il leur adresse, de vaines attaques contre « trois ou quatre sophistes du Lycée » qui sont évidemment en première ligne Aristote, lequel avait déjà publié toute la Rhétorique[1], puis Théodecte, un disciple dont Isocrate a été abandonné, et probablement Théophraste et Héraclide du Pont ou Xénocrate.

On sait qu’Aristote avait quitté Athènes vers le moment de la mort de Platon, pour séjourner auprès d’Hermias à Atarne, qu’il alla à Mitylène en 345-344 et en Macédoine auprès de Philippe en 543-342. Teichmüller soupçonne qu’il revint à Athènes en 344-343, avant d’aller s’attacher à la personne d’Alexandre. Cette conjecture me paraît confirmée par le récit d’Hermippe dans Diogène Laërce ; d’après cet auteur, et contrairement à la tradition vulgaire, il n’aurait point été appelé par Philippe, mais retenu par lui à la suite de son envoi en Macédoine comme député par les Athéniens, ce qui aurait fait échoir à Xénocrate la direction de l’Académie (à la mort de Speusippe en 340).

En dehors des parties dont nous avons jusqu’à présent fait l’analyse, l’ouvrage de Teichmüller en contient une autre dont l’importance est également capitale, quoique les résultats n’offrent pas la même précision de chiffres. Il s’agit cette fois de la polémique entre Platon et Aristote.

À la mort de Platon, le Stagirite avait déjà trente-sept ans ; il n’était certainement pas resté vingt ans à écouter simplement les leçons du maître ; en tout cas, Teichmüller me semble avoir établi victorieusement par les discussions sur la doctrine de la liberté, sur l’idée du bien, et sur le concept du courage, que la Morale à Nicomaque est antérieure à la publication des Luis, qu’Aristote ne connaît pas alors, et à la rédaction des livres IX et X de ce dialogue, où Platon répond au disciple infidèle et fait d’autre part une véritable citation du premier livre de la Rhétorique. Au contraire, la Politique a été écrite après les Lois.

Le Parménide est également une réplique de Platon à Aristote. Mais alors le maître espère encore ramener le dissident ; dans les Lois, le ton annonce une rupture décidée.

Si nous réunissons par la pensée l’ensemble des résultats ci-dessus exposés, Il est clair qu’il reste encore beaucoup à faire pour établir la chronologie complète des écrits de Platon et d’Aristote. Mais, à considérer ces écrits d’après leur importance philosophique, on peut dire qu’au moins la moitié du travail est faite, et que c’est un cas où la moitié est près de valoir le tout. L’illustre professeur de Dorpat semble, dans sa préface, vouloir laisser à d’autres le soin d’achever la tâche. Si son appel est suivi, comme nous l’espérons, on ne pourra en tout cas mieux faire que de prendre son œuvre comme modèle,


Paul Tannery.
  1. Le premier livre est antérieur aux Lois de Platon, les derniers postérieurs au Philippe d’Isocrate (346).