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d’ailleurs de ne pas se laisser confondre, comme il avait pu l’être jusqu’alors, avec les éristiques, qui suivaient Antisthène, en sorte qu’une réponse au moins est indirecte et se traduit par une attaque contre ce dernier ou plutôt contre ses deux amis, Lysias et son frère Euthydème. On sait que la scène de la République est dans la maison de leur père Cephalos, et qu’ils sont présents, sans prendre une part active à l’entretien. Sans doute, dans le plan primitif de la grande œuvre méditée par Platon, il devait en être autrement ; il se décide à les prendre à partie dans un dialogue particulier, où, pour laisser un plus libre cours à son humeur satirique, il les déguise sous des masques de fantaisie, Dionysiodore et Euthydème de Chios, faciles à reconnaître[1]. C’est là l’Euthydème, La République renferme d’ailleurs des réponses directes à Isocrate.

Le succès de ce dernier dialogue et la position prise par Platon ont sur le rhéteur tout l’effet qu’il pouvait espérer, Dans son Busiris (387), Isocrate commence à lui emprunter ses idées, ce qu’il continuera plus tard, ne se permet plus guère contre lui que de légères ironies, et le traite moins comme un élève de Socrate que comme un disciple de Pythagore[2] et des Égyptiens.

Le Busiris est d’ailleurs dirigé contre le sophiste Polycrate, qui venait de traiter le même sujet et avait d’autre part attaqué la mémoire de Socrate. Le manque d’un éloge de ce dernier est constaté à cette occasion par Isocrate. C’était comme inviter Platon a écrire le Banquet (385), que suit le Phédon (384), comme la tragédie après la comédie.

La date du Banquet est d’ailleurs précisée par un anachronisme remarqué depuis longtemps et relatif à Mantinée. Nous touchons d’ailleurs à la seconde période du style de Platon, au Ménon, qui, supposant encore vivant Isménias de Thèbes, ne peut être postérieur à 383. Ainsi le Théétète, qui marque l’ouverture de cette période, doit être placé immédiatement après le Phédon, en 384 ou 383.

Le Panégyrique d’Isocrate (380) semble bientôt après, dans la manière de ce dernier et dans la tendance de ses discours, ouvrir, pour lui aussi, comme une seconde période que signale le Phèdre avec éloge. Ce dernier dialogue peut donc être daté de 379.

Y eut-il, à sa suite, entre Platon et Isocrate, une réconciliation complète, ou, sinon des liens d’amitié, un compromis tacite de ménagements réciproques ? On peut le supposer ; mais, après la mort du premier (348), sinon avant, le vieux rhéteur trouve à se plaindre de ses disciples ; le Panathénaïque (349), qu’il écrit à quatre-vingt-quatorze an,

  1. Que le prétendu pythagorisme de Platon et de Speusippe n’ait nullement été une déviation de doctrine ultérieure, mais une affectation réfléchie, dès que le maître a eu pleine conscience de lui-même, c’est ce que Teichmüller établit à cette occasion. Il a bien voulu indiquer, entre autres preuves, les rapprochements spéciaux que j’ai faits dans mon premier article sur l’Education platonicienne (Revue philosophique, novembre 1880).
  2. Ces personnages n’ont jamais existé ; on sait d’ailleurs que Lysias et ses frères n’étaient pas Athéniens.