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évolution qui a peu à peu détaché les sciences spéciales de l’ensemble de la philosophie. Déjà Anaximandre, Démocrite et divers esprits de la même famille avaient porté leurs efforts sur l’observation de la nature, tandis que Héraclite et plus encore les Pythagoriciens et les Eléates créaient à priori leurs solutions. — On pourrait noter les débuts de la médecine grecque dans les poèmes homériques. Dans les écoles de Cnide et de Cos, les recherches anatomiques faisaient défaut, et même après que, au temps de Pythagore et d’Alcméon, la dissection des animaux eut été pratiquée, on se bornait encore à faire sur les rapports généraux de l’organisme humain des suppositions fort éloignées du caractère d’hypothèses scientifiques. On procédait le plus souvent, comme pour l’explication du monde, par construction ; on invoquait des qualités, l’humide ou le sec, le froid ou le chaud ; ou bien encore un élément matériel unique, le sang, la bile ; parfois aussi, on combinait les éléments matériels et les qualités abstraites. La méthode rappelait celle de la philosophie. De quelques phénomènes extérieurs on déduisait une théorie générale sur la nature et les conditions constitutives des corps. — Les médecins philosophes procédèrent d’une autre façon ; la pratique de leur art et leurs observations personnelles les mirent sur la voie de la connaissance véritable. Epicharme, Aleméon, Hippon, Clidème, Archélaüs, Critias, ébauchèrent ainsi les premiers linéaments de la médecine et de la physiologie.

La théorie de la connaissance devait à son tour fixer l’attention des philosophes. — Le fait que les diverses propriétés des objets extérieurs n’arrivent à la perception de l’âme que par le secours d’organes corporels amena les esprits à se préoccuper d’abord de la sensation. On distingua bientôt dans la perception l’élément objectif et l’élément subjectif ; puis on chercha la nature du lien qui établit le rapport entre le monde et l’esprit, et c’est dans le fait commun de l’impression que l’on crut trouver la condition essentielle de la connaissance. En général, les causes excitatrices de la perception furent plus remarquées et décrites que la réaction propre de l’esprit sur elles. Quant au problème de l’espace et de la projection des images au dehors de nous, il ne fut pas soupçonné. Telles sont les conclusions principales qui ressortent de l’étude des prédécesseurs de Socrate, les anciens Pythagoriciens, les Eléates, Empédocle, Démocrite, Anaxagore et Diogène. Quelques-uns soulèvent déjà la question de l’erreur qui, bientôt, deviendra l’une des plus importantes.

Enfin il n’est pas moins curieux de recueillir les premières observations faites dans ces temps anciens sur certains phénomènes de psychologie expérimentale ; ce sont comme des ébauches de psycho-physique. Tel est l’objet du quatrième chapitre. — La distinction des deux domaines psychique et physiologique n’existait pas. Le « monisme naïf » inconscient des difficultés se retrouve au fond de toutes les observations, et l’on peut y reconnaître les deux directions signalées déjà dans l’explication du monde, Dans les conceptions hylozoïstes et