Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
87
ANALYSES. — FERRAZ. Nos devoirs et nos droits.

sure, ni d’exactitude lumineuse dans les déductions, qui ne sont en quelque sorte qu’une contre-partie de la morale individuelle transportée du dedans au dehors et de nos rapports avec nous-mêmes représentés dans nos rapports avec les autres hommes. De notre premier contact avec un de nos semblables naissent deux grands devoirs, justice et charité, qui la comprennent tout entière. Aux devoirs de charité aucun droit, selon M. Ferraz, ne correspond ; mais le devoir et le droit sont inséparables quand il s’agit de la justice. Comme lui, nous les tenons pour inséparables et contemporains, mais nous réclamons une priorité logique pour le devoir sur le droit, de même que pour la morale individuelle sur la morale sociale.

Pour tout ce que la justice nous commande à l’égard des autres hommes, sur le respect dû à leur vie, à leur liberté, à leur propriété, M. Ferraz ne fait guère que redire ce qu’on trouve dans tous les traités de morale, mais il le dit en fort bons termes, en se l’appropriant, en le fortifiant par des raisonnements qui lui sont propres, en le commentant par des faits et des exemples empruntés au temps présent et à la polémique contemporaine. Nous ne pouvons qu’approuver ses préceptes de morale sociale comme ses préceptes de morale individuelle, tous en harmonie les uns avec les autres, tous découlant parallèlement d’un même principe. Bornons-nous à remarquer, dans un chapitre excellent d’ailleurs, sur le respect à la liberté, et contre l’intolérance, ce qui, de sa part surtout, nous semble une lacune. Comment M. Ferraz, si fort pour la liberté et pour toutes les libertés, qui est si véhément contre l’intolérance, ne dit-il rien de la liberté de l’enseignement, du droit des parents sur l’éducation des enfants ? Ce sont là cependant des questions d’un grand intérêt actuel et sur lesquelles il eût été curieux de savoir l’opinion d’un membre du conseil supérieur de l’instruction publique appelé à les trancher par son vote.

Dans les devoirs de bonté et de bienfaisance, je lui sais gré de n’avoir pas dédaigné de faire une place à la bonté envers les animaux. « L’homme, a dit M. Renan, est tenu à la bonté même envers les animaux. » C’est aussi le sentiment de M. Janet dans sa Morale. Toutefois la bonté de M. Ferraz pour les animaux ne va pas jusqu’aux scrupules de Pythagore, des Brahmes ou des végétariens modernes ; il se prononce sans hésiter pour la créophagie contre le végétarisme.

En résumé, Nos devoirs et nos droits sont un bon livre de psychologie et de morale, qui se recommande à tous, maîtres et élèves, pour l’enseignement et l’étude de la morale. Quoique autre chose soit la connaissance, autre chose la pratique du devoir, M. Ferraz à raison d’espérer et de croire, contrairement à Herbert Spencer, que l’enseignement rationnel de la morale n’est pas sans efficacité. À égale distance de tous les excès, du rigorisme comme du relâchement, du mysticisme comme du sensualisme, fondé sur un principe dont chacun sent en lui la vérité et qui reçoit une continuelle démonstration de la facilité avec laquelle s’en déduisent tous nos devoirs, lesquels se fortifient les uns