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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

sont les relations avec l’oreille humaine, surtout dans notre système musical.

En étudiant le hauteur, M. Ch. Beauquier ne dit rien encore de l’expression qui pourtant s’y rattache ; mais il en parle brièvement à propos de l’intensité. Il constate que, entre un son très faible qui agite à peine les nerfs de l’oreille et un son violent qui peut aller jusqu’à les briser, il y a place pour une foule de sensations agréables qui sont pour la musique autant de moyens d’action sur les auditeurs. Cet élément, l’intensité, qui modifie puissamment la sensibilité, a donc une grande importance, pourvu qu’il reste dans la moyenne. L’auteur, toutefois, n’indique pas ici avec précision ce qui peut être exprimé par les nuances de l’intensité.

Il est plus explicite à l’égard du troisième caractère du son musical. Après une exposition lucide de la théorie physique et physiologique du timbre, conforme aux récentes analyses de la science, il insiste sur l’importance extrême de cet élément de l’art. « C’est dans le timbre, dit-il, que réside un des plus grands moyens d’expression. Ne dit-on pas d’un timbre qu’il est tendre, sévère, ému, sombre, amoureux, etc. ? Les passions diverses qui émeuvent l’homme agissent sur l’organisation de l’instrument vocal et modifient par conséquent la nature des sons. La trachée-artère dilatée ou comprimée produit un son différent. La colère, la pitié, la Joie, la douleur timbre la voix chacune à sa manière et d’une façon si bien caractérisée que, quand même le sens des paroles échapperait, le son seul en lui-même parlerait quelquefois assez clairement. L’amour donne à la voix un timbre d’un charme étrange ; elle devient plus douce, plus souple et plus élevée. Aussi n’est-ce pas arbitrairement que les ténors au théâtre jouent toujours les amoureux et sont invariablement les rivaux heureux des basses-tailles ou des barytons, que leur organe rude et grave condamne aux fureurs de la jalousie et aux désespoirs de l’amour méconnu[1]. »

Voilà un passage remarquable et de grande portée. Plus d’une fois » dans le courant de cette étude, nous le rappellerons et nous le rapprocherons avec soin des lignes suivantes : « Ces rapports indirects du timbre avec les sentiments dont il est le reflet sont utilisés par la musique vocale, qui en tire un de ses plus puissants moyens d’expression. Quant à la musique instrumentale, le timbre y joue un rôle tout autre, mais d’une plus grande importance encore. C’est lui, en effet, qui forme le caractère des instruments, leur personnalité, qui fait autant de voix distinctes de toutes les voix qui chantent dans un

  1. Philosophie de la musique, pages 15-16.