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comme l’homme, elle a aussi pour devoir de cultiver sa raison et de vivre de la vie intellectuelle ; elle doit réaliser en elle la femme idéale, comme l’homme doit réaliser l’homme idéal. Toutefois il met une différence entre le genre de culture intellectuelle qui convient à la femme et celui qui convient à l’homme ; ce qu’il veut pour elle ce n’est pas l’étude des sciences abstraites et spéculatives, du sanskrit, où même du grec, ni de la chimie, mais une instruction solide et générale qui exerce leur esprit, sans l’absorber, et qui leur donne, suivant l’expression de Molière, des clartés de tout. Entre la femme pédante et la femme frivole, il y a place, dit-il, pour la femme intelligente et éclairée et dont l’esprit est ouvert à toutes les idées élevées de son temps.

Pour les devoirs de la volonté, il ne se montre pas éloigné de l’avis des philosophes qui en ont fait la morale tout entière. Toute culture en effet de nos facultés, de la sensibilité, comme de l’intelligence, tout empire sur nous-mêmes, toute dignité personnelle ne dépendent-ils pas du bon exercice, la volonté ? Mais il est retenu par la difficulté d’y faire rentrer les devoirs envers Dieu et la morale sociale. Quoique en réalité tout devoir soit un certain emploi, une certaine direction de notre volonté, nous ne blâmons pas M. Ferraz d’avoir conservé une division particulière où la volonté, la liberté, la personnalité, la responsabilité sont en cause d’une manière plus directe, plus immédiate, et sans l’intermédiaire d’une autre faculté. Mais l’essence même de la morale demeure dans ces devoirs pour quiconque adopte le principe de la dignité humaine. Ne pas se dégrader : tous les devoirs envers la volonté, comme toute la morale, sont, dit-il, compris dans ce seul mot plus significatif, plus profond que nul autre. Nul devoir ne prime celui de la formation et du maintien de la personnalité morale ; nul n’est plus impérieux, mais aucun n’est plus à la portée de tous, dans tous les temps et dans tous les lieux, à la portée du sauvage comme de l’homme civilisé, de l’ignorant comme du savant. La personnalité morale dépend de l’effort, et l’effort n’exige que la bonne volonté qui dépend de tous.

Notons quelques pages fortes et convaincues où M. Ferraz flétrit le mensonge et célèbre le courage. Parmi les diverses manières, dit-il, de nous dégrader et de nous avilir, une des plus graves est le mensonge. Le mensonge, cette perversion de la faculté que nous avons de communiquer nos pensées, constitue la plus triste défaillance de notre énergie morale. Par contre, rien ne porte plus haut notre dignité que la force d’âme et le courage, sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de courage militaire ou du courage civil, ou de la constance à souffrir la douleur. Le courage est, dit-il, l’essence même du moi humain, l’élément constitutif de la personne. « Quand on n’en a pas, on n’est rien, on ne compte pas, on n’a pas de prix, on est, suivant le sens étymologique du mot, méprisé. »

Les vertus relatives à la volonté ont-elles gagné ou perdu depuis