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Lyon. Dans un premier volume intitulé Philosophie du devoir, il a établi le principe du devoir ; dans celui-ci, il déduit de la conception du devoir en général nos différents devoirs particuliers, Il y traite des devoirs de l’homme envers lui-même et de ses devoirs en face d’autres êtres libres et raisonnables comme lui, abstraction faite de tout autre rapport particulier. Il annonce un troisième volume, où il étudiera les devoirs qui découlent de sa qualité de membre d’une famille, d’une cité, d’une Église et de quelques autres rapports moins importants.

Le principe d’où il déduit tous les devoirs est celui de la perfection spécifique que nous croyons le vrai, et que pour notre part nous avons ici même développé, il y a quelques années. La grande obligation d’où dérivent toutes les autres, c’est, selon M. Ferraz, celle de vivre en homme, c’est-à-dire de réaliser l’idéal de notre espèce et d’en reproduire en nous-même les attributs essentiels. Homme, reste homme et deviens de plus en plus homme, tel est le grand principe de la morale. L’auteur le justifie par la critique des autres systèmes et surtout de Kant, auquel, comme M. Janet, il reproche de faire de la loi morale une loi sans raison ou une forme sans matière, Il le justifie mieux encore par la facilité, la clarté, la rigueur logique avec lesquelles s’en déduisent tous les devoirs particuliers. Bornons-nous ici à rappeler le principe pour examiner les conséquences, c’est-à-dire les devoirs et droits qui sont l’objet du présent volume.

La première question est celle de la classification de nos devoirs. M. Ferraz rejette la division purement formelle de Kant en devoirs négatifs et positifs, ou parfaits et stricts, imparfaits et larges, à laquelle il reproche d’être d’un emploi difficile à l’égard des devoirs religieux et des devoirs envers nous-mêmes. La division subjective, bien autrement ancienne et consacrée, des quatre vertus cardinales, ne lui semble pas exempte de vague et de confusion, même dans les Offices de Cicéron. Il préfère la classification objective laquelle se fonde sur la différence des objets auxquels nos devoirs se rapportent, c’est-à-dire Dieu, nous-mêmes et nos semblables. S’il ne traite pas expressément des devoirs envers Dieu dans ce volume, il les défend contre ceux qui les ont niés et les considère comme une partie intégrante de la morale et il annonce qu’il en traitera plus spécialement dans le volume suivant. On a objecté contre les devoirs envers nous-mêmes que nul ne pouvait être à la fois obligeant et obligé ; mais M. Ferraz fait remarquer qu’il ne s’agit pas ici d’un contrat résultant de l’accord de deux personnes ou d’une obligation juridique, mais d’une obligation naturelle et nullement conventionnelle à laquelle nous ne pouvons nous soustraire. Fût-il seul au monde, un homme a le devoir de respecter en lui la dignité humaine, de travailler à sa perfection spécifique ; il n’a pas le droit de s’abrutir. Nous sentons que nous devons respecter l’humanité en nous comme dans les autres ; les devoirs envers nous-mêmes ont la même autorité et la même légitimité que les devoirs envers autrui. À notre avis, il ne suffirait même pas, comme le fait M. Ferraz, de les mettre sur la même