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ANALYSES. — MABILLEAU. Étude sur Crémonini.

Le second livre nous déroule le tableau de ce qu’a été l’école de Padoue avant la venue du maître. Les origines de l’Université où elle fleurit se perdent dans les premières années du xiiie siècle. En 1960, on la découvre constituée. À la fin du siècle y éclate la philosophie. Ce premier cycle, dans lequel évolue la pensée spéculative de l’école, est véritablement inauguré par la diffusion en Italie des œuvres et des doctrines d’Averroès. Les écrits de ce primitif inspirateur décèlent un naturalisme grossièrement crédule et tout empreint d’astrologie. C’est une physique indécise qui se combine avec la magie. La seconde période, au contraire, qui occupe tout le xve siècle, voit éclore une métaphysique véritablement issue de l’Organon, jusqu’alors méconnu. Longtemps stationnaire dans les distinctions logiques où un Paul de Venise l’avait enserrée, elle ne brise que sur le tard cette mathématique sans rigueur qui l’étreint. La culture de plus en plus large qu’elle doit à la fréquentation des princes de la pensée grecque achève de la dégager de cette scolastique étiolante, Au xvie siècle, elle peut s’ouvrir à son plein épanouissement. Cette renaissance ne fut préparée ni par l’influence arabe à l’exclusion de la grecque, comme le veut M. du Bois-Reymond, ni par l’expansion de l’hellénisme, au défaut de la culture arabe, comme le soutient M. Fiorentino. Sa personnalité fut faite de la fusion en elle des deux civilisations.

Avec le troisième livre se déploie enfin la doctrine même que Crémonini professait. Cet exposé, tel que M. Mabilleau le distribue, se décompose en une trilogie : philosophie de la nature ; philosophie de l’absolu ; philosophie de l’âme. C’est, à quelques égards, la division péripatéticienne en physique, métaphysique et psychologie.

Physique. — Quel sera l’objet auquel devra s’attaquer d’abord la recherche philosophique ? Évidemment le premier connu, non pas le premier en soi, mais le premier quant à nous. Or quel est ce premier connu ? C’est à la fois le confus, comme le voulait Aristote, et le particulier, comme a professé Duns Scot. Or le particulier dans le confus, qu’est-ce autre chose, sinon le sensible ? Mais le sensible n’est lui-même que la nature en tant que capable de mouvement. La recherche immédiate de la physique devra donc être celle des lois intrinsèques qui président au transfert des corps.

Ce problème initial s’impose à nous : moyennant quelles conditions un corps peut-il se mouvoir ?

La première de ces conditions sera que la substance corporelle n’apparaisse ni indétermination pure, ni toute détermination : ce qui équivaut à poser comme primordiale une distinction entre la matière et la forme. Ce troisième chapitre, où M. Mabilleau nous retrace, à propos de cette distinction, la théorie de la substance d’après Aristote, témoigne d’une érudition ramassée et d’une souplesse dialectique, que l’on n’a, ce semble, point assez louées. La nature de la substance, laquelle n’est point matérielle, point davantage formelle, mais essentielle-