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REVUE PHILOSOPHIQUE

qui appartient à la science comme à la religion, et qui par suite ne peut servir à définir la religion, n’est pas sans réaction dans la religion, pas plus qu’il ne l’est dans la science. Cette réaction, très violente dans l’état scientifique où l’idéal pratique est de détruire la dépendance et d’établir le règne de l’homme sur les choses, — science elle-même se sait parfaitement impuissante à réaliser dans sa plénitude, impuissance qu’elle reconnaît et accepte, — cette réaction dis-je, n’est pas moins réelle, et elle est plus ambitieuse encore peut-être dans l’état religieux : l’homme à l’état de religion se sait dépendant, comme l’homme à l’état de science ; mais il travaille à retourner cette dépendance, lui aussi ; il a pour cela ses procédés propres, comme le savant ; l’homme de science s’affranchit de sa dépendance en s’assujettissant les forces de la nature par la découverte des lois et les applications pratiques qu’il en fait ; l’homme de religion s’affranchit de sa dépendance en s’assujettissant les dieux par les formules, les rites, le sacrifice, les pratiques de toutes sortes, bref par un ensemble, de procédés que l’on appelle, suivant leur degré d’organisation, culte ou sorcellerie.

Ce n’est donc point par le sentiment sous-jacent que l’on peut définir la religion et la distinguer de la science : l’une et l’autre ont le même objet et les mêmes ambitions, et le sentiment dans l’une et dans l’autre est le même ; il n’y a de différence entre elles que dans les procédés mis en œuvre dans la méthode de connaissance et de réaction ; et, comme le terme de science est précis et prête peu à l’équivoque, la meilleure façon de définir la religion est de la définir négativement par la science : « La religion embrasse tout le savoir et tout le pouvoir non scientifique ; » son domaine s’est donc rétréci au fur et à mesure du progrès de la science, infini au début, limité avec le temps, réduit enfin de nos jours à l’inconnaissable et à l’invérifiable, soit sous le vieux nom de religion, soit sous le nom de métaphysique. La science de la religion comprend donc, outre la cosmogonie et la théogonie, outre le culte, outre la mythologie, l’immense et flottant domaine du folk-lore.

L’unité de ce vaste champ est donnée par la force unique qui le féconde et qui est la grande créatrice de mythes et de pratiques, l’analogie.

Le lecteur lira avec intérêt les chapitres consacrés à la discussion des vieilles théories sur la révélation primitive et sur la tradition primitive, Nous arrivons à une des parties les plus intéressantes du livre et qui seront neuves pour un grand nombre de lecteurs, les chapitres consacrés au culte et au symbole. M. Réville montre très bien que le culte est un symbolisme : la théorie de Creuzer, fausse pour la mythologie, est vraie pour la latrologie. Il y aurait un beau livre à faire sur le culte, qui n’a pas encore été tenté : un certain nombre de mythologues ont déjà montré dans des points spéciaux comment le culte reproduit le drame céleste, est une ὁμοιώσις θεῷ ; le lecteur en trouvera de beaux