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permis de dire que, si la matière est toujours en mouvement, en vibration, le mouvement, la vibration est la vie propre de la matière. D’où cette conséquence, que l’auteur tirera plus tard, mais qu’il aurait pu tirer tout de suite, que l’homme, en percevant par l’ouïe certaines vibrations des corps, perçoit du même coup quelque chose de la vie de la matière, tantôt plus, tantôt moins. Les sons, on l’entrevoit dès à présent, seraient donc expressifs de la nature intime des êtres, ces êtres ne fussent-ils que des corps bruts ; et la musique, de ce côté, ne laisserait pas que d’être éclairée par la métaphysique.

Cela dit, revenons avec notre auteur à l’air populaire de Lulli. Quelle qu’en soit la simplicité, cet air est une œuvre musicale. Comme tel, il doit renfermer tous les éléments musicaux. On les y trouve, en effet. Considéré en lui-même, le son s’y présente avec ses trois caractères, la hauteur, l’intensité, le timbre. Envisagé par rapport à la durée, le son, dans cet air, est soumis au rythme, à la mesure, au mouvement. Maintenant, quel est le rôle, quelle est l’importance de chacun de ces éléments et son influence respective sur l’homme ? Négligeons ce que cette analyse offre de très connu, et notons seulement ce que l’auteur a mieux vu et mieux fait voir que d’autres.

Il ne cherche pas comment l’homme a été amené à agrandir les sons. Mais il remarque justement que, par la hauteur, le son devient plus distinct, plus saillant et plus agréable, pourvu que la hauteur, à ses deux extrémités, ne dépasse pas certaines limites. Si les sons successifs ne sont séparés que par de minimes intervalles, ils ne se distinguent plus et retombent dans la confusion caractéristique du bruit. Des intervalles assez grands sont donc nécessaires. De là les gammes. Malgré certains traits de similitude, les gammes diffèrent comme l’organisation physiologique des peuples. La gamme européenne, la nôtre, est celle qui accorde le plus à l’intelligence, le moins possible aux sens, et qui, par conséquent, répond le mieux aux exigences d’une œuvre d’art. Ses plus petits intervalles, le ton et le demi-ton, sont très distincts. Elle a aussi de grands intervalles que l’oreille admet et qui lui plaisent, quoique inégalement. L’intervalle le plus satisfaisant est l’octave. La quinte est le degré intermédiaire le plus naturel entre une note et son octave. La tierce tient le milieu entre la tonique et la quinte ; elle diminue le saut. Mais, quand un morceau finit sur la tierce, on éprouve comme un désir imparfaitement contenté, et, quoique cette légère déception ne soit pas sans charme, l’auditeur rétablit la tonique et s’y repose. Tels sont les caractères, les avantages, les diversités de la hauteur, et telles en