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ANALYSES. — A. RÉVILLE. Prolégomènes de l’histoire.

seulement — les chapitres sur le mythe, le symbole, le sacrifice et le sacerdoce — nous transportent au milieu des faits, et le livre pourrait plutôt s’intituler Philosophie de la religion : la question essentielle au point de vue pratique, la question de méthode, n’est pas traitée. La classification des religions est faite d’après leur caractère dogmatique au lieu d’être faite d’après l’ordre historique, qui est cependant ce qu’on attendrait dans un cours d’histoire religieuse. C’est donc en philosophe que M. Réville a abordé son sujet : peut-être aurait-il mieux valu, pour faire comprendre plus exactement au public le caractère parfaitement précis et tout expérimental de la science nouvelle, laisser de côté les discussions philosophiques et entrer in medias res, en se contentant de délimiter le sujet. M. Réville aura pensé, sans doute, qu’il y avait quelque danger à dépayser le public en le transportant du premier coup en face de faits qu’il n’est pas encore préparé à envisager comme purs faits, et il a voulu ménager la transition entre les habitudes anciennes du public et celles qu’il s’agit de faire prévaloir. Auguste Comte dirait que ce livre nous présente la période métaphysique de la science ; certainement M. Réville ne s’y attardera pas, et le prochain volume nous fera entrer dans la période positive. Je me contenterai de toucher très rapidement deux des points traités dans ce livre.

M. Réville commence par donner sa définition de la religion : après avoir discuté un certain nombre de celles qui ont été proposées par divers philosophes, il conclut que la religion « est la détermination de la vie humaine par le sentiment d’un lien unissant l’esprit humain à l’esprit mystérieux dont il reconnaît la domination sur le monde et sur lui-même et auquel il aime à se sentir uni ». C’est là une définition un peu obscure et pénible, mais qui néanmoins peut très bien se défendre en prenant le mot religion au sens qu’il a chez les modernes ; mais si Von essayait, en partant de cette définition, de faire le cadre de ce que peut et doit contenir la science des religions, je crains qu’on ne coure le risque de laisser en dehors bien des choses qui doivent y trouver place au premier plan. Je ne vois pas trop comment on ferait entrer dans le cadre de cette définition les idées objectives des religions anciennes, les cosmogonies, les mythologies, toutes choses qui font essentiellement partie de la religion ; la définition donnée n’embrasse que le côté subjectif de la religion et le culte. Il y a plus : ce sentiment de dépendance, dont on fait depuis Schleiermacher l’essence du sentiment religieux, ne peut servir de caractéristique à la religion, parce qu’il ne lui est pas particulier : l’homme, dans la période scientifique, le ressent aussi fortement que l’homme resté à la période religieuse : l’homme en tout temps a senti et de tout temps sentira qu’il n’est point son maître et qu’il y a des choses qui peuvent le déterminer, et le sentiment de la dépendance est aussi profond et plus conscient dans l’état d’esprit moderne, que l’on ne peut pourtant faire entrer dans le cercle religieux sans faire violence au mot. D’autre part, ce sentiment de dépendance