Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
NOLEN. — le monisme en allemagne

communs que présentent les deux ouvrages et qui contituent l’unité de l’œuvre de Strauss, malgré les profonds changements de doctrine qu’elle accuse. Il importe d’en mettre en lumière un troisième.

Si sa polémique religieuse attaque surtout le dogme, parce qu’il repose sur le miracle, on peut dire également que ce qu’il aime surtout dans le darwinisme, c’est qu’il écarte de l’explication du monde l’intervention de la finalité, cet autre miracle pour la science également antipathique à la science.

C’est donc par amour de la science et par haine du miracle, cette autre forme de l’amour de la science, qu’à trente-cinq ans d’intervalle Strauss rompt en visière tour à tour avec la foi religieuse de sa jeunesse, avec la philosophie de son âge mûr. Et ce qu’il salue dans la religion de l’univers, c’est la religion débarrassée du miracle des théologiens et des causes-finaliers, et justifiée par la science. Là est l’unité de sa vie et de son œuvre ; là est le secret de la force, mais aussi de la faiblesse du monisme, sur lequel il appuie sa religion de l’univers.

Il a raison de voir avec Helmholtz et la théorie de l’évolution le couronnement du déterminisme scientifique, sans lequel, comme Kant l’a définitivement établi, il n’y a pas de science rigoureusement démonstrative ; mais il a tort d’y voir avec Hæckel une explication véritablement mécanique du monde. Il a raison de croire que l’univers ne sera expliqué scientifiquement que le jour où il sera ramené aux atomes et à leurs combinaisons mécaniques ; il a tort de penser que le monde comporte et que la pensée n’exige aucune autre sorte d’explication, de croire en un mot que le mécanisme épuise l’explication de la réalité. Si la science expérimentale proscrit la téléologie, la pensée et la philosophie non seulement l’admettent, mais ne peuvent s’en passer. Quant au miracle, sans doute ni la science ni la philosophie ne l’admettent ; mais la téléologie n’est pas le miracle. Et, comme l’ont solidement établi la métaphysique de Leibniz et la dialectique hégélienne, il y a place dans la logique éternelle pour le mécanisme et la téléologie ; et la nécessité logique, qui régit tous les processus de la nature et de l’esprit, concilie partout les causes finales et les causes efficientes ou mieux les subordonne. Strauss n’a donc ni démontré que le darwinisme soit le triomphe exclusif du mécanisme, ni qu’il soit la condamnation de l’idéalisme hégélien.

Est-il nécessaire de montrer qu’il n’a pas su mieux que Hæckel concilier avec les exigences du mécanisme, avec les conclusions de la théorie évolutioniste, les théories morales et cosmologiques, qui intéressent plus spécialement sa tentative de réforme religieuse ? Après avoir exposé et démontré, à ce qu’il croit, son monisme évo-