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dans un état semblable. Persuadé que, aussitôt que j’aurais placé ma main dans la sienne, toute ma pensée et tout mon être lui seraient entièrement dévoilés, que je ne pourrais plus m’éloigner, m’enfuir, si j’avais quelque chose à lui cacher, il me semblait que le plancher allait se dérober sous mes pieds et que je m’enfoncerais dans un abime sans fond aussitôt que j’aurais placé ma main dans la sienne ; du reste, je subis bien l’épreuve. Elle vanta l’énergie de ma foi, et j’ai souvent dans la suite embarrassé Kerner en lui rappelant que la voyante à cette question qu’il lui posait : Quel est le trait caractéristique de sa foi ? avait répondu qu’elle ne se changerait jamais en incrédulité. »

Et il semblait vers le même temps vouloir confirmer par une déclaration personnelle le pronostic de la voyante, lorsqu’il reproduisait avec de grands éloges les paroles de Daub, dans un article sur Schleiermacher et Daub : « Un peuple peut disparaître de la face de la terre avec sa religion particulière ; mais la religion elle-même ne disparaît jamais. » Comme le soleil, elle ne se couche pour les uns qu’en se levant pour les autres.

La confession de Strauss, malgré la révolution philosophique qu’elle accuse, montre bien que les préoccupations religieuses de la jeunesse et de l’âge mûr ont dominé le penseur jusqu’en ses dernières années. C’est la religion de l’avenir, qu’il salue dans la doctrine de l’évolution et dont son dernier livre essaye de mettre en lumière les principes et les conséquences essentiels. Il a bien conscience de dépasser dans ses affirmations les pures données de l’expérience. Aussi est-ce une confession, une profession de foi, non une démonstration théorique qu’il nous présente. « Ce n’est pas sans réflexion que, dans le titre de mon ouvrage, j’ai opposé à l’ancienne foi non pas une nouvelle science, mais une nouvelle foi. Pour constituer une vaste conception du monde, destinée à remplacer la vaste foi de l’Église, nous ne pouvons nous contenter de ce que nous prouve une induction sévère ; nous devons accepter encore dans notre cadre les hypothèses légitimes et les conclusions logiques. »

Strauss fera donc appel aux hypothèses, mais à celles-là seulement que la science autorise et soutient. Il remplace les enseignements de la théologie par ceux de la théorie de l’évolution et ne reconnaît d’autre Bible que les écrits de Darwin et de Hæckel.

C’était au nom de la vérité historique que l’auteur de la Vie de Jésus combattait la dogmatique chrétienne ; c’est au nom de la vérité évolutionnelle que l’auteur de la Nouvelle foi rejette l’idéalisme hégélien ; la vérité scientifique, dans les deux cas, est pour lui le critérium unique de toute certitude. Ce ne sont pas là les seuls traits