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NOLEN. — le monisme en allemagne

rasser la croyance des dogmes historiques auxquels le christianisme l’enchaine que pour la rendre plus personnelle, plus intime. L’adversaire résolu de toute dogmatique se déclarait l’avocat décidé du sentiment religieux. Il se complaisait, dans les Feuilles pacifiques (Friedlichen Blättern), à décrire les élans mystiques de sa jeunesse ; et, à ceux qui tentaient d’expliquer par les dispositions sceptiques de sa nature et la sécheresse de son imagination son hostilité systématique au dogme chrétien, il répondait par le curieux récit de ses rapports avec la visionnaire de Prévorst :

« C’était au commencement de mes études à l’université. Sans préférence, sans direction philosophique, j’étais passé des landes arides du kantisme et de ses commentateurs aux terres plus grasses de la philosophie de la nature, et je m’étais même égaré dans les bois mystérieux où se plaît la pensée de Jacob Böhme….. Böhme me parlait le langage d’un voyant, d’un homme qui pénètre avec ses propres yeux le mystère des forces qui vivent dans le sein de chacun de nous et au sein de la nature. Je croyais en lui comme en un prophète, en un apôtre. » Mais ce n’était pas lui-même qu’il entendait ; il ne voyait que ses livres. « N’y aurait-il pas dans le temps présent et assez près de moi un voyant, avec lequel je pourrais m’entretenir directement et, par son commerce intime, faire de ses visions en quelque sorte les miennes ? Il est clair que dans cette disposition d’esprit je devais faire attention aux récits qui couraient, surtout en Souabe, sur les somnambules. » Il se rend avec James, aux premières vacances, chez Kerner, à Weinsberg, où résidait la voyante. « J’avais la sensation, en prenant congé de mon père, que j’allais être initié aux plus mystérieux, aux plus effrayants secrets, et entrer avec le monde invisible en un commerce intime, après lequel j’avais en vain soupiré jusque-là. » Il est enfin en présence de la voyante dans son sommeil magnétique. « Pour la première fois je contemplais ce merveilleux état, et sous sa forme la plus pure et la plus belle, La face de la voyante respirait la passion, mais aussi la noblesse et la douceur ; elle était illuminée par une clarté céleste ; elle parlait l’allemand le plus pur ; sa voix était suave, lente, solennelle, musicale, comme un récitatif. Ce qu’elle exprimait, c’étaient des émotions ineffables, qui tantôt légères, tantôt sombres comme des nuages, traversaient son âme et s’évanouissaient. Elle conversait avec des esprits heureux ou malheureux, elle parlait d’eux avec un accent de vérité qui ne nous permettait pas de douter que nous fussions véritablement en présence d’une voyante, qui commerçait avec un monde supérieur. Kerner se prépara bientôt à me mettre en rapport magnétique avec elle. Je ne crois pas m’être jamais trouvé depuis