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NOLEN. — le monisme en allemagne

gère aux principales conclusions du système pour qu’on puisse se faire un seul instant illusion sur la valeur de la tentalive poursuivie par Hæckel. Il se propose de substituer la science expérimentale à la spéculation à priori et d’identifier l’expérience et la philosophie ; or les matériaux du système sont en réalité puisés à deux sources très différentes : tantôt à l’étude exacte, infatigable des faits, tantôt à l’imagination philosophique de l’auteur. À la première, Hæckel doit les parties solides de ses constructions scientifiques, les rapprochements ingénieux, les inductions perspicaces, qui ont renouvelé les points de vue et les méthodes de la biologie, plutôt qu’elles n’en ont fixé les théories. La seconde l’a entrainé aux hypothèses les plus aventureuses sur les origines de la vie, sur la généalogie des espèces zoologiques, sur l’universalité de la sensation et de la volonté, sur l’unité psychique des êtres vivants, sur l’identité qualitative de la sensibilité et de la raison depuis le plus obscur animal jusqu’à l’homme, enfin sur la consubstantialité de Dieu et du monde.

De là toutes les contradictions qu’on a mille fois relevées dans le monisme de Hæckel. Il ne veut rien devoir qu’à la science, et il arrive non seulement que la science conteste les faits qu’il invoque, mais qu’elle ne reconnaît pas pour siennes les hypothèses qu’il propose. Il repousse dédaigneusement les spéculations à priori de l’ancienne philosophie de la nature, et son enthousiasme pour les poésies philosophiques de Gœthe l’emporte fréquemment à des déclarations que n’eut pas désavouées Spinoza. Son monisme repose en principe sur l’application exclusive du mécanisme et la condamnation absolue de toute téléologie : mais en associant partout la matière et l’âme, il introduit dans la réalité à côté du mouvement des éléments réfractaires au mécanisme, la sensation, la volonté, la représentation. Il professe, heureux de se rencontrer en cela d’accord avec Kant, que le but de la science est de ramener tout à des explications mécaniques, et il ne voit pas que les principes de Darwin et les siens sont pénétrés de finalité. Et, ce qui surprend peut-être plus que tout le reste, ce partisan résolu de l’omnipotence, je ne dis pas seulement de l’infaillibilité de la science, cet adversaire intraitable du relativisme de la connaissance, qui n’a pas d’expressions assez dures pour qualifier Dubois-Reymond et sa célèbre déclaration de Leipzig sur les limites de la connaissance, nous surprend tout à coup par des propositions que n’aurait pas désavouées Kant. « Ne l’oublions jamais : l’entendement humain est absolument limité ; son champ d’action n’a qu’une étendue relative : ce qui dépend avant tout de la constitution de nos organes des