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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

chose qu’un simple guerillero de la philosophie, il procède en chercheur soumis à la discipline de la méthode. Son principal instrument d’investigation est l’analyse psychologique ; il y joint un emploi discret des notions les plus certaines de la physiologie et de l’acoustique. Enfin, sans l’avouer, mais sans le nier non plus, il demande les explications dernières à la métaphysique, et à cette métaphysique qui, depuis Leibniz, s’appelle le dynamisme.

Il raconte en peu de mots comment lui est venue l’idée de son livre. La musique que nous entendons à l’Opéra nous ravit ; en sortant, les bruits de la rue nous déplaisent. Cependant, dehors comme dans la salle de l’Opéra, ce qui frappe l’oreille, ce sont des vibrations de l’air. Entre les unes et les autres, d’où vient donc la différence quant à l’impression que j’en reçois ? Autre question : les mélodies chantées à l’Opéra et les quadrilles de barrière joués sur les orgues de Barbarie appartiennent à l’art musical : de part et d’autre, nous avons de la tonalité, de l’ordre, de la proportion, une construction qui révèle une pensée. Et pourtant, si peu que l’écoutant ait de culture et de goût, tandis qu’il est charmé par la mélodie de l’Opéra, le quadrille joué par l’orgue lui déplait, quelquefois même l’agace autant qu’un bruit importun. D’où vient cette seconde différence ?

À force d’agiter ces deux questions, l’auteur s’aperçut un jour qu’elles n’étaient autres que le double problème de l’essence de la musique et du beau musical, et qu’elles le jetaient en pleine esthétique, lui qui jusque-là n’avait pu prononcer ce nom d’esthétique sans effroi. La curiosité fut plus forte que la crainte : il prit son parti et plongea dans les eaux profondes. Il ne s’y est point noyé, tant s’en faut. Après les avoir sondées et parcourues en nageur habile, il en a rapporté des observations de valeur diverse, mais toutes dignes d’attention. Quelques-unes sont fécondes, plus fécondes peut-être qu’il ne l’a lui-même pensé.

Pour découvrir quels sont les éléments qui constituent l’art musical, il choisit comme sujet d’analyse une mélodie simple, l’air connu de tous : Au clair de la lune. Mais il juge avec raison que cette première analyse doit être précédée d’une étude de la matière que façonne l’art musical, c’est-à-dire du son.

D’accord avec la science, il admet que la matière est toujours en mouvement, en vibration. Les vibrations de la matière, quel que soit le milieu qui nous les transmette, sont senties par l’œil comme lumière, par le tact comme chaleur, par l’oreille comme sons. Le son, c’est donc le mouvement de la matière perçu par nous selon l’organisation spécifique de notre appareil auditif. Mais il est bien