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NOLEN. — le monisme en allemagne

les mille liens des dogmes religieux et des préjugés de l’éducation, ils obéissent plus librement aux impulsions de la nature et de la vérité : « On trouve souvent chez eux des jugements meilleurs que chez nos prétendus savants. » Il faut donc affirmer hardiment que toutes les fonctions psychiques et les institutions qui en dérivent ne sont que les fonctions correspondantes, amenées graduellement à une plus haute perfection des ancêtres de l’homme, en particulier des singes. Cela est particulièrement vrai de toutes les institutions politiques et sociales de l’homme, ainsi que Wundt s’est attaché particulièrement à le démontrer dans ses leçons sur l’âme de l’homme et des animaux[1] (Leipzig, 1863).

Et la conclusion de l’Anthropogénie n’est qu’une autre expression plus condensée et par suite plus énergique des mêmes vérités, « Il résulte de notre anthropogénie que, dans tout le développement humain, aussi bien en embryologie qu’en phylogénie, il n’y a pas en jeu d’autres forces que celle de toute la nature organique et inorganique. Toutes ces forces, nous les pouvons ramener, en dernière analyse, à la croissance… Les fonctions de reproduction et d’hérédité, qui dépendent l’une de l’autre, se ramènent à une question de croissance… Mais, à son tour, la croissance résulte de l’attraction et de la répulsion des particules homogènes ou hétérogènes. » Et voilà pourquoi Hæckel ne craint pas de dire quelque part : « L’histoire du monde n’est qu’un processus physico-chinique ; » de même que « l’âme est une somme de phénomènes de mouvements moléculaires ».

« Ainsi sont nés aussi bien l’homme que le singe, aussi bien le palmier que l’algue, aussi bien le cristal que l’eau. Le développement de l’homme résulte donc des mêmes lois éternelles, des mêmes lois d’airain que l’évolution de tout autre corps de la nature[2]. » Le monisme, dont cette vérité capitale est l’enseignement essentiel, disons mieux, l’unique enseignement, réalise dans l’histoire de la science et de la philosophie une révolution aussi profonde que celle autrefois opérée par Copernic. La conception anthropocentrique, qui fait de l’homme le centre, le but de la création, n’est pas moins définitivement ruinée par la nouvelle doctrine que la théorie géocentrique, qui formait la base du système de Ptolémée.

Le monisme est donc justement le contre-pied de la doctrine de Kant. Au lieu que le moi pensant soit le principe de l’explication

  1. Morph., 436-437.
  2. Anthropogénie, 625. — Voir 33, Hist. naturelle de la création.