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En résumé, ce malade ne présente rien d’anormal sous le rapport psychique. Comme on la voit, sa mémoire est normale « C’est un pauvre garçon infirme, de caractère franc et symphatique. »

« On se décide à lui apprendre un état compatible avec son infirmité. Il sait lire, écrire à peu près. On le porte tous les matins à l’atelier des tailleurs. Là, on l’installe sur une table, et, grâce à la position de ses membres inférieurs, il prend tout naturellement la posture classique des tailleurs. En effet, ses membres inférieurs, sont paralysés, fortement atrophiés et aussi contracturés… Au bout de deux mois, V… sait coudre assez bien ; il met à son travail tout le zèle possible, et son chef d’atelier est satisfait de ses progrès. Un matin, deux mois environ après son entrée à l’asile, vers la fin de mai 1880, notre malade tombe d’une attaque à l’atelier même. »

Nous n’avons pas à décrire ici les diverses phases de l’attaque hystéro épileptique, qui se termine cinquante heures après le début par un sommeil calme.

« Au réveil, V… veut se lever. Il demande ses habits, et il réussit, tout en étant fort maladroit à se vêtir de son pantalon et de sa veste puis il fait quelques pas dans la salle ; la paraplégie a disparu. Si les jambes chancellent et soutiennent mal le corps, c’est que les muscles sont atrophiés… Une fois habillé, V… demande à aller avec ses camarades aux travaux de culture. Il veut se rendre aux ordres du chef de culture, avec M. Ferdinand, dont il parle souvent. Nous nous apercevons vite que notre sujet se croit encore à Saint-Urbain et qu’il veut reprendre ses occupations habituelles.

« En effet, il n’a aucun souvenir de sa crise, et il ne reconnaît personne, pas plus les médecins et les infirmiers que ses camarades de dortoir. Il n’admet pas avoir été paralysé, dit qu’on se moque de lui. Nous pensons à un état vésanique passager, très supposable après une forte attaque hystérique. Mais le temps s’écoule, et la mémoire ne revient pas. V… se rappelle bien qu’il a été envoyé à Saint-Urbain ; il sait qu’il a « l’autre jour » eu peur d’un serpent qu’il a pris dans sa main. Mais, à partir de ce moment, il y a une lacune. Même ne se rappelle plus rien. Il n’a pas même le sentiment du temps écoulé.

« Naturellement, nous songeons à une simulation, à un tour d’hystérique, et nous employons tous les moyens possibles pour mettre V… en contradiction avec lui-même mais sans jamais y parvenir. Ainsi, nous faisons conduire, sans l’en prévenir, le malade à l’atelier des tailleurs. Nous marchons à côté de lui en ayant soin de ne pas l’influencer quant à la direction à suivre. V… ne sait pas où il va. Arrivé à l’atelier, il a tout l’air d’ignorer l’endroit où il se trouve, et il affirme qu’il y vient pour la première fois. On lui met une aiguille en main et on le prie de coudre. Il s’y prend aussi maladroitement qu’un homme qui se met à une semblable besogne pour la première fois. On lui montre des vêtements dont il a fait les grosses coutures alors qu’il