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ANALYSES. — RENARD. L’homme est-il libre ?

déterminant. Car, au sommet, l’idée elle-même est déterminée par ses antécédents, concomitants ou conséquents (fins poursuivies) comme à la base le pur choc. Où est, je vous prie, le déterminant universel, inconditionné ? Il faut le nommer. Est-ce la chose en soi ? la matière ? autre chose encore ? De quelque manière qu’il vous plaise de l’appeler, ce sera la grande et terrible Anankê. Ou bien, pour éviter la conséquence, vous direz : La série des conditions déterminantes va à l’infini, regressus ad infinitum, et il n’y a pas de chose en soi ; ce qui reviendrait à ceci : La loi de la détermination universelle et nécessaire est à la fois la loi et l’être. Autre façon, quoique plus subtile, de réaliser l’Anankê. Le déterminisme universel, envisagé dans toute sa rigueur logique, ne représente donc encore que l’antique fatalisme, rajeuni, habillé à la mode. En passant, M. G. Renard se moque de la liberté transcendantale ou intelligible, adorée, pour ainsi dire, par Kant. C’est logique et commode. Descartes, lui aussi, a parlé de la liberté : il en fait même une sorte de miracle au sein de son mécanisme cosmologique universel ; on pourrait pareillement s’en moquer, ou taxer le philosophe déterministe d’inconséquence. Et pourtant la raillerie se retourne contre l’auteur lui-même, si le déterminisme n’est qu’un fatalisme à double face interne et externe, où tout se ramène à la nécessité du mouvement physique, d’une opération logique, ou d’une balance d’idées et d’impulsions. Car de dire alors à l’agent moral : « C’est à vous de susciter en vous l’idée morale du devoir, » est une illusion singulière. Eh ! le puis-je ? s’écrierait-il ; n’est-ce pas l’idée qui, opère en moi, quand et comme il lui plaît. Quoi que je fasse, ne suis-je pas toujours et nécessairement agi, comme le croit Malebranche. La liaison déterminée des événements au dedans et au dehors renferme le secret de ce que je puis, de ce que je concevrai et de ce que je voudrai. Elle ferait de nous des somnambules.

Il y a heureusement dans l’ouvrage de M. Renard deux parties : une première, métaphysique, contestable, et à nos yeux insuffisamment étudiée ; une seconde, morale, politique, sociale, excellente de tout point. La pratique n’est pas à la merci de la théorie. L’idéal, M. G. Renard y croit de toute la vigueur de son esprit : « C’est l’ensemble des principes de conduite qui m’apparaissent comme les plus conformes à ma nature… La loi morale est ainsi l’idéal que l’homme, en qualité d’être raisonnable, doit s’efforcer de réaliser, et il n’a pas seulement le devoir, il a aussi la faculté de le faire… Le déterminisme ne touche pas à la loi morale il ne fait disparaître que l’idée de mérite et celle de démérite. » La thèse entière de l’auteur sur le droit de punir, réduit à l’exercice d’un droit légal et social, est à lire. C’est un résumé fort bien fait de la doctrine juridique libérale, et un intéressant chapitre de sociologie pratique.

A. Debon.