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ANALYSES. — RENARD. L’homme est-il libre ?

ce jour a passé par les trois phases d’une même progression ascendante l’évolution industrielle, l’évolution esthétique, l’évolution scientifique. Comte le démontre : c’est cette démonstration qu’il faut lire. Il en tire secondairement cette conséquence que l’œuvre de l’éducation nouvelle, arrivée à la pleine intelligence réfléchie de son but et de ses moyens, c’est de suivre l’ordre inverse au premier rang l’évolution philosophique, puis l’évolution scientifique, puis la culture esthétique.

La singulière théologie du positivisme, la pseudo-religion du Grand-Etre, l’humanité, est vraiment une fantaisie démodée ; pourquoi le Dr Robinet ne se contente-t-il pas d’enguirlander de quelques fleurs cette religion-fantôme qui n’est plus qu’un souvenir ?

Une philosophie des sciences, claire, précise au dernier point, digne d’un esprit merveilleusement doué et familier avec les théories fondamentales des sciences positives et naturelles ; une tendance souvent heureuse, parfois hasardée et excessive, toujours philosophique, à positiver les sciences morales, en particulier la psychologie ; des vues générales en matière de sociologie d’une grande élévation, des aspirations généreuses jusqu’à l’utopie, des erreurs inouïes qu’on n’eût jamais attendues d’une intelligence aussi rigoureusement scientifique, et, malgré tout, une haute intuition des besoins de l’esprit moderne : voilà, en quelques mots, le bilan de cette œuvre monumentale. Il convenait de la résumer en un court tableau, destiné au grand public ; mais on se prend à songer, en lisant cette brochure, que l’art de l’écrivain est de charmer le lecteur, afin de le convaincre.

A. Debon.

G. Renard. L’homme est-il libre ? — Germer Baillière. Bibliothèque utile. 1881.

Le déterminisme de M. G. Renard est une espèce d’idéalisme moral jaloux des droits clairs et précis de la science, assez indifférent aux spéculations de la métaphysique, et, chose curieuse dans une doctrine en apparence exclusivement intellectualiste, tout pétri de sentiment, de croyance, disons de foi à l’idéal et au devoir. « Le déterministe sait, dit-il, que bien des choses en lui et hors de lui s’opposent à son essor vers le bien, que la volonté, comme l’intelligence, ne s’accroît que par l’exercice, que l’empire de la raison sur les désirs est long et dur à établir. Il en conclut qu’il faut sans relâche raidir son énergie et, comme l’athlète d’autrefois, se préparer aux luttes des grands jours par des luttes journalières. Cette pensée, déterminée en lui par la conviction que rien n’arrive sans raison suffisante, le détermine à son tour, non pas à l’inertie, à la mollesse, mais à un effort perpétuel, à une surveillance et à une action de tous les moments sur lui-même. » La correction de ce langage nous annonce qu’entre les métaphysiciens la liberté morale et les déterministes à la façon de l’auteur le dissentiment tient plus aux mots qu’aux choses.