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conditions échappent à l’observation, plutôt les déduire par voie d’hypothèse que de les omettre. Singulier, mais pardonnable excès, dont Descartes avec toute son école a donné maintes fois l’exemple ! Voilà pourquoi Comte, il l’explique très judicieusement, se déclare en 1835 un adepte philosophique de la doctrine si décriée de Gall, un partisan de sa localisation « provisoire » des facultés. Plutôt l’hypothèse fausse, condition de la démonstration expérimentale future, que le vague des discussions verbales sur les facultés, leurs rapports intimes et leur essence. « Il faut remarquer, dit très bien le Dr Robinet, maître ici de son sujet, que pour la philosophie positive cette opération ne constitue qu’un cas particulier du principal problème de la biologie : Déterminer l’organe d’après la fonction, et réciproquement. C’est Gall et Cabanis qui ont les premiers ramené la psychologie à la physiologie et insisté sur la nécessité de faire rentrer dans le domaine scientifique une étude jusque-là abandonnée aux métaphysiciens. Puis est venu A. Comte, qui a repris le problème avec le secours de la méthode positive, dénombré systématiquement les hautes fonctions de l’encéphale, celle de la moelle allongée et de ses dépendances (théorie des ganglions sensitifs), et fourni des indications corrélatives sur leur localisation. » Ceux qui ont pratiqué le traité cartésien des passions se garderont de protester contre cette légitime tendance scientifique : oserait-on se parer du titre de psychologue et rester en arrière des disciples de Descartes les moins suspects, Bossuet, Fénelon, Malebranche ?

C’est donc un des plus grands mérites de Comte d’avoir, contre le courant philosophique d’alors, proclamé les principes de la psychologie moderne, je n’ose dire nouvelle, puisqu’elle remontait déjà à près de deux siècles. Il est singulièrement regrettable que les psychologues français de cette époque aient attendu l’exemple et l’impulsion de l’étranger pour adopter et développer cette conception scientifique, d’origine française et cartésienne. Le Dr Robinet s’en indigne, avec quelque e raison « Nous avons le droit de nous étonner que cette partie de l’ceuvre du fondateur du positivisme soit tous les jours encore passée sous silence par les vulgarisateurs scientifiques les plus en faveur, matérialistes ou spiritualistes, qui, sous prétexte de psychologie pure ou expérimentale, en font honneur à tant d’écrivains étrangers, surtout anglais, qui ont puisé leur originalité philosophique dans les ouvrages de Comte, précisément à la faveur de l’inqualifiable obscurité systématique où ceux-ci ont été laissés par les publicistes français, dupes ou complices. — La prétendue psychologie expérimentale n’est que la physiologie du cerveau conçue par Cabanis, fondée par Gall et par Broussais, et systématisée par A. Comte. » Tout ce chapitre, avec les considérations dont l’enrichit le D’Robinet, est à recommander aux psychologues.

La philosophie sociale, ce desideratum suprême des travaux d’A. Comte, attend aujourd’hui encore sa constitution définitive. Une double loi de l’évolution intellectuelle a été dégagée pourtant ; elle mérite notre attention. C’est d’abord que le développement de la civilisation jusqu’à