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ANALYSES. — W. WUNDT. Experimentelle Psychologie.

ciser ? Voyez par quelle suite de considérations, d’analyses, de déductions, il dégage de l’évolution historique, scientifique et sociale la fameuse « loi des trois états ». Loi empirique d’une philosophie elle-même empirique : pourquoi donc lui attribuer une valeur axiomatique ? C’est se conformer à l’esprit de rare sagesse du maître que de réclamer contre de pareilles exagérations des disciples. Parmi ces dogmes apocryphes de la philosophie positive, M. Robinet ne manque pas de poser en vérité indiscutable « l’irréductibilité des catégories de phénomènes et l’immuabilité des lois naturelles ». « L’ensemble des lois naturelles, physiques, biologiques, sociologiques et morales, est-il écrit page 36, l’ordre universel, est donc immuable dans ses dispositions fondamentales, c’est-à-dire quant à la permanence de nature et de relation de tous les phénomènes quelconques ; il n’est modifiable qu’en ce qui concerne ses dispositions secondaires, c’est-à-dire quant à l’intensité de variation des divers événements ! » Simple question : le Dr Robinet est-il bien sûr, démonstrativement, de cette double assertion ?

C’est aller à la fois à l’encontre du mouvement scientifique contemporain et des principes les plus fréquemment rappelés par A. Comte lui-même, que de proclamer ainsi, ex cathedra, des aphorismes invérifiés, peut-être invérifiables. S’il y a une loi objective vraiment digne d’être tenue pour « universelle et immuable », c’est probablement la loi newtonienne de gravitation. Eh bien, que le Dr Robinet veuille bien relire la XXIVe leçon du Cours, et il constatera l’étrange et audacieux scepticisme du maître à l’endroit de la soi-disant « universalité et immuabilité » de cette foi. Transportez par la pensée le soleil du foyer de l’orbite elliptique des planètes au centre, et alors « l’action solaire, au lieu d’être inversement proportionnelle au carré de la distance, varierait au contraire en raison directe de la distance elle-même. » Et le savant mathématicien ajoute : « Il serait impossible d’obtenir une plus grande opposition dans les résultats pour une modification, aussi légère en apparence, à l’hypothèse primitive ; et cependant rien n’est mieux démontré. » C’est donc que le vrai positivisme, celui de Comte, ne dépasse point l’expérience systématisée, et les besoins strictement démontrés de la science actuelle. Dans cet inventaire et ce budget de la science expérimentale, il n’y a point place pour les faux crédits. Cette comptabilité si merveilleusement ordonnée du positivisme va même jusqu’à la proscription de toute explication biogénétique. C’est un des points délicats où la doctrine a pu être considérée comme rétrograde.

Mais laissons la philosophie physique proprement dite.

La philosophie de l’esprit, que Comte regarde comme un chapitre suprême de la biologie, est, quoi qu’on ait dit, des plus redevables au génie scientifique de ce savant. En dépit de protestations acharnées, violentes, et surtout inintelligentes, Comte a repris en cette matière la vraie tradition cartésienne : 1o chercher — partout et toujours les conditions organiques et physiologiques de la pensée ; 2o là même où ces