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ANALYSES. — W. WUNDT. Experimentelle Psychologie.

parce qu’il est à la fois le produit et l’organe de la pensée. Il est heureux que là où l’appui de la psychologie physiologique commence à nous manquer, — pour les états de conscience supérieurs, — le langage nous fournisse un objet qui soit indépendant de l’observateur, multiple et variable d’après les circonstances, et par conséquent ait une valeur expérimentale.

Présentement, les linguistes cultivent avec beaucoup d’ardeur la physiologie des sons et sont arrivés avec raison à se convaincre que les lois de la permutation des sons dépend au moins autant de motifs psychologiques que de motifs physiologiques. Mais ces questions sont encore si débattues qu’on ne peut pas s’en servir pour notre objet. — Il y a à prendre dans l’étude de la formation des mots. Sur ce point, on est arrivé à reconnaître quelques faits fondamentaux. La formation des mots à l’aide d’éléments originairement différents, leur fusion plus ou moins intime pour exprimer de nouvelles idées supposent le jeu de forces psychiques dont on peut étudier la nature par leurs manifestations. À cet égard, la langue des peuples sauvages promet peut-être aux psychologues une plus riche moisson que les langues civilisées, dont l’organisation a des milliers d’années de date. On peut du moins l’inférer des observations importantes qui se trouvent dans les Etymologische Forschungen et autres ouvrages de Pott.

Après avoir indiqué rapidement ce que la psychologie peut tirer de l’étude des syntaxes, M. Wundt indique pour terminer l’étude des changements de signification, pour laquelle il y a de si riches matériaux amassés dans le domaine des langues indo-germaniques. Il est clair que l’histoire du langage a ici une valeur psychologique immédiate. Celui qui suit l’histoire d’un mot pendant les milliers d’années de son existence a fait, par là même, l’histoire d’une idée. On pourrait en citer plusieurs exemples, et l’on peut croire qu’avec les matériaux accumulés un travail, même de seconde main, serait utile. Quelle riche matière fournirait un ouvrage comme la Griechische Etymologie de Curtius pour le grec, et le Wörterbuch de Grimm pour l’allemand !

Nous avons insisté sur cette dernière partie du travail de Wundt relative à la science du langage, parce qu’il nous semble que, en France et ailleurs, on n’a reconnu son utilité pour la psychologie que d’une manière toute platonique, et qu’il est désirable qu’on en tire quelques résultats.

On voit, dit l’auteur en terminant, quelles riches sources de connaissance objective s’offrent à la psychologie et qui promettent de meilleurs résultats que cette observation intérieure, trompeuse et impraticable. Même en se limitant aux faits, il n’y a pas à craindre que la matière manque, et ce qu’on pourrait dire de l’origine et de la nature de la vie psychique sera établi sur une base plus solide que ces réminiscences métaphysiques du passé qui s’arrogent les droits de vérité scientifique et d’articles de foi inviolables. Il est indispensable que la