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réservés à l’avenir. La mythologie a attendu longtemps et attend encore, que l’archéologie et l’interprétation des vieux monuments littéraires lui aient frayé la marche ; la psychologie doit attendre de même un état plus avancé de la mythologie.

Il semble que le moment est venu pour la psychologie de tirer profit d’une science voisine : c’est la science du langage. Elle fait partie de l’anthropologie psychique, quoique en général elle en ait été exclue jusqu’ici. Waitz, qui, dans Anthropologie der Naturvölker, poursuit un but psychologique, n’en dit rien, n’en fait aucun usage. Il faut avouer que la science du langage n’est rien moins qu’achevée. Mais il n’est pas nécessaire qu’une science soit achevée — y en a-t-il une seule qui le soit ? — pour fournir des matériaux utiles. Il suffit qu’il y ait un nombre suffisant de faits bien établis, et il semble que c’est le cas. Si la psychologie était suffisamment avancée, il est vraisemblable que la science du langage pourrait expliquer immédiatement certains faits par des lois psychologiques. Pour l’instant, c’est la linguistique qui doit aider la psychologie à atteindre cet idéal.

Un homme qui a le rare avantage d’être à la fois un linguiste et un psychologue, Steinthal, dans son Einleitung in die Psychologie und Sprachwissenschaft, ouvrage qui forme la première partie d’un grand ouvrage sur la linguistique, n’a pas tenu ce qu’on attendait. Le psychologue qui prend ce livre espère y trouver un grand nombre de nouvelles vues psychologiques tirées des langues. Au lieu de cela, Steinthal s’appuie en partie sur des observations tirées des enfants, en partie sur des théories subjectives, empruntées surtout à Herbart, quoiqu’il leur ait donné sa marque ; en sorte qu’il semble purement accidentel que l’auteur de cette psychologie soit en même temps un linguiste : J’ai appris plus de psychologie, ajoute Wundt, dans son petit volume « sur la langue des nègres mandingues » que dans le grand ouvrage précité. Steinthal pense qu’il y a une psychologie indépendante des faits objectifs, qu’on peut la constituer pour l’appliquer ensuite à tous les objets possibles d’observation psychologique, tandis qu’en réalité c’est de ces objets seulement qu’on peut tirer une psychologie scientifique. Tout récemment, Hermann Paul dans son remarquable ouvrage Principien der Sprachgeschichte, considère la psychologie comme une « science des lois » dont dépendraient la science du langage et les autres sciences historiques. Heureusement que, lorsqu’il s’agit des détails, l’auteur ne fait aucun usage de cette hypothèse.

En psychologie comme en logique, il faut se garder d’abuser de la grammaire. Celle-ci, par sa nature même, est obligé d’imposer à la vie du langage un formalisme extérieur, qui à la vérité est d’origine logique, mais qui, n’étant pas créé par la seule logique de l’esprit, n’est en fait ni logique ni psychologie. C’est au langage seul que le psychologue doit demander des faits d’une valeur psychologique ; c’est lui qui révélera les lois de la pensée et du développement des idées,