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NOLEN. — le monisme en allemagne

contradictoires, n’est-il pas prudent de considérer jusqu’à nouvel ordre l’existence du Bathybius comme problématique ?

On ne peut donc trouver que le problème des origines de la vie, pas plus que celui de l’essence de la matière, ait reçu de la doctrine de Hæckel la solution promise.

Mais voyons la doctrine à l’œuvre sur le terrain qui lui est le plus familier et où elle a livré ses plus retentissants combats, le terrain de l’évolution des espèces. C’est l’ambition principale de Hæckel d’avoir constitué l’arbre généalogique de la vie, la série des espèces. Le principe original qui le guide dans cette difficile étude est celui de la corrélation du développement embryogénique et du développement phylogénique, c’est-à-dire de la correspondance parfaite entre l’évolution du germe individuel et la série zoologique de ses ascendants.

L’individu traverse dans la période restreinte de la vie embryonnaire et reproduit dans la rapide succession de ses phases les formes progressives qu’ont revêtues successivement et gardées pendant des siècles les espèces ancestrales. L’histoire de l’embryon est donc en raccourci l’histoire même de tout l’embranchement du règne organique auquel il appartient ; les données de l’une éclairent, contrôlent, complètent les données de l’autre. La théorie de la descendance n’a besoin pour expliquer le passage des espèces inférieures aux espèces supérieures que des grands principes de l’hérédité et de l’adaptation. Hæckel présente avec confiance à l’examen des plus incrédules sa monographie des éponges calcaires comme la démonstration la plus rigoureuse, la confirmation la plus irrécusable de ses principes,

Quelle que soit la valeur de ce document, nous ne pouvons oublier pourtant les protestations multipliées qui ont été dirigées contre la classification des organismes tentée par Hæckel. L’existence de l’ascidie, qui forme la transition des vers aux vertébrés, a été catégoriquement contestée par le savant Baer. Un autre naturaliste, Hiss, traite de purement fantaisistes les dessins qui doivent rendre sensibles aux yeux les prétendues relations des formes embryogéniques entre les diverses espèces. Nous n’en finirions pas si nous voulions énumérer toutes les modifications plus ou moins profondes que les partisans eux-mêmes du transformisme ont fait subir aux théories soutenues par Hæckel.

Nous ne voyons donc pas que la science ait ratifié la généalogie qui doit fixer définitivement nos liens de parenté avec le monde organique tout entier. C’est là pourtant le désir le plus cher du philosophe-naturaliste ; c’est la conclusion à laquelle il