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ANALYSES. — W. WUNDT. Experimentelle Psychologie.

dignation avec laquelle ils reconnaissent que les méthodes expérimentales sont applicables à certaines parties, semi physiologiques, comme les perceptions. Les autres sciences sont trop solidement assises pour qu’on essaye de les déraciner ou de les faire rentrer sous le joug de la métaphysique ; mais en voici une toute nouvelle qui lève la tête : elle veut s’émanciper de la philosophie, après avoir été jusqu’ici dans son servage. Pourquoi ne serait-il pas permis de la tuer, avant que les ailes lui aient poussé ?

Supposons maintenant un homme d’un jugement droit, qui ne connaisse guère la philosophie ni les sciences particulières, mais qui se mette à les étudier avec l’ardeur de tout embrasser. Il trouvera que l’historien, le philologue, le naturaliste se donnent beaucoup de mal avant d’établir un fait comme certain. Il remarquera en particulier que le naturaliste part toujours de cette supposition que l’expérience immédiate est trompeuse, qu’il emploie d’innombrables moyens d’observation et d’expérimentation, souvent même le recours de l’analyse mathématique pour arriver à la vérité. Il verra que le philosophe au contraire, au lieu de partir des résultats critiques des autres sciences, suit une route plus commode : il rattache simplement ses spéculations aux idées courantes. À celui qui veut comprendre la philosophie de la nature de Hegel, le meilleur conseil qu’on puisse donner, c’est d’oublier tout ce qu’il sait de physique et de se rappeler simplement ce qu’il a appris dans la vie courante, sur la pesanteur, la chaleur, la lumière, etc. : c’est un exemple frappant de la méthode métaphysique, mais ce n’est ni le seul ni le plus récent. Voilà ce qu’il ne faut pas oublier pour faire la traduction exacte du terme « empirisme grossier ».

En psychologie, l’empirisme supérieur, que le métaphysicien oppose à l’empirisme grossier du naturaliste, consiste dans l’emploi de la méthode dite d’observation intérieure. En quoi consiste-t-elle ? Dans les ouvrages qui l’emploient, on dit à peine en quoi elle consiste et comment on en fait usage. On semble tenir l’observation intérieure pour une disposition antérieure à tout procédé scientifique et aussi naturelle que le boire et le manger. Et cependant quels désaccords dans les résultats obtenus par cette méthode ! Si un habitant d’un autre monde, venant dans le nôtre, voulait se faire une idée de l’homme en lisant les manuels de psychologie, il croirait qu’on a dépeint plusieurs êtres de nature très distincte. Etablir les règles de l’observation dans un domaine où elle est possible et exacte n’est pas une difficulté. Il n’y a pas de domaine des sciences naturelles qui n’ait ses règles à cet égard, règles spécifiques, parce que, en dehors de certains principes généraux, le caractère de l’observation change avec l’objet de la recherche. Pourquoi la psychologie ne sait-elle pas donner ces règles ? Parce que l’observation de soi-même, si nous employons le le mot dans le sens scientifique, est impossible. Il y a une perception des états internes comme des états externes ; mais nous distinguons